Télé-médecine : soins et expertises à distance
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Faire une consultation à distance, demander l'avis d'un confrère via une plateforme sécurisée, suivre l'évolution d'un patient grâce à des objets de santé connectés… Ces actes de télé-médecine se sont banalisés en l'espace de quelques années seulement. En 2018, on ne dénombrait ainsi que 3 000 consultations effectuées à distance par des médecins généralistes, contre 80 000 en 2019. L'année suivante, ce chiffre atteignait un pic de… 13,5 millions de télé-consultations. Durant ce laps de temps, la crise sanitaire liée au Covid-19 et son lot de confinements était passée par là, bousculant les réticences de bon nombre de médecins.
« J'ai mené mes premières télé-consultations à la toute fin de l'année 2019, sans être véritablement convaincue au départ, raconte Bénédicte Melot, infectiologue au Centre hospitalier de Bretagne Atlantique. Je craignais une sorte d'ubérisation de la médecine, mais mes doutes se sont envolés avec l'arrivée du Covid, car cela répondait à un réel besoin. » Une fois le gros de la crise sanitaire passé, l'infectiologue bretonne a continué – comme nombre de ses confrères et consoeurs – à mener ponctuellement des télé-consultations, pour un volume d'environ une heure par semaine. « Avec le temps, j'y vois surtout des avantages : cela oblige à mener un interrogatoire médical en réalité plus complet qu'en présentiel, et cela facilite l'accès aux soins à des populations qui en étaient éloignées pour des raisons sociales, géographiques ou sociologiques. »
La télé-consultation, mais pas pour tout le monde
Ces patients, qui consultent de chez eux par l'intermédiaire d'une webcam ou d'un téléphone, ont pour la plupart déjà rencontré par le passé le docteur Melot en présentiel. « Toutes les pathologies ne se prêtent pas à l'exercice, notamment lorsqu'il y a besoin d'un examen clinique approfondi. Par contre, la télé-consultation est idéale pour le suivi des pathologies chroniques ou des personnes séropositives, en alternance avec des séances en présentiel ».
Bertrand Issartel, spécialiste des maladies infectieuses au sein de l'entité MIIT (Médecine Interne Infectieuse Tropicale) à Villeurbanne, confirme que la télé-consultation s'adapte bien à certains cas bien précis. « L'infectiologie est un domaine qui s'y prête bien, notamment pour le suivi de maladies infectieuses, de tolérance d'un traitement, tout ce qui ne nécessite pas forcément un examen approfondi. Par exemple, on peut proposer une télé-consultation à J7 ou J14 à un patient qui sort d'une infection post-opératoire. Si à distance nous avons un doute sur l'évolution, nous proposons alors une consultation en présentiel. »
Les cabines sous le feu des critiques
L'infectiologue libéral s'avère par contre bien plus critique sur l'essor de la télé-consultation en médecine générale, surtout lorsqu'elle prend place dans des cabines spécialisées. Ces bornes aux allures de photomaton se sont d'abord timidement invitées dans quelques mairies et pharmacies juste avant la crise sanitaire, avant de se développer à grande vitesse au gré des différents confinements, envahissant les supermarchés et peut-être bientôt les gares. Dans ces cabines en libre-service équipées de quelques instruments sommaires (tensiomètre, thermomètre, stéthoscope…), il suffit d'insérer sa carte vitale et sa carte bleue pour être mis en quelques minutes en relation avec un médecin généraliste, s'affichant sur l'écran devant soi.
« Avec ces cabines et le système économique qui y est associé, on commence vraiment à entrer dans une marchandisation de la médecine qui peut être néfaste », estime le Dr Bertrand Issartel. « Une cabine coûte cher, pour une utilité toute relative, étant donné que le plus important dans une télé-consultation reste l'interrogatoire, pour lequel la cabine n'apporte rien. Je pense qu'il vaut mieux mettre nos efforts et nos moyens financiers dans la numérisation de la santé par exemple, plutôt que dans ce genre de dispositifs. »
« Médecine fast-food », « pratiques bassement commerciales », « dégradation de la qualité de prise en charge »… Nombreux sont les professionnels de santé, l'ordre des médecins en tête, à critiquer vertement l'arrivée de ces cabines de télé-consultations, qui se comptent désormais par milliers dans l'hexagone. Parmi les griefs, des consultations parfois expédiées en quelques minutes par des médecins salariés de grands centres privés, contraints d'enchaîner les télé-consultations pour s'y retrouver financièrement, ou encore des surprescriptions d'antibiotiques pour des motifs futiles.
Changement de peau pour la télé-expertise
Mais la question de la télé-consultation, avec ses avantages et ses critiques, ne constitue qu'un pan de ce qu'a à offrir la télé-médecine. Le terme englobe également la télé-assistance, qui permet à un professionnel de santé d'assister à distance un autre collègue pendant la réalisation d'un acte médical (pour par exemple prodiguer des conseils durant une opération chirurgicale), la gestion des appels téléphoniques d'urgence, type SAMU, ou encore la télé-surveillance médicale. Celle-ci consiste à recueillir à distance des données de santé d'un patient, obtenues via un dispositif médical connecté (tensiomètre, pompe à insuline, dispositif cardiaque…).
Enfin, ultime volet de la médecine à distance : la télé-expertise. Autrement dit, lorsqu'un professionnel de santé en contacte un autre pour recueillir son avis de spécialiste, bien souvent après une consultation. « Cela fait 20 ans que l'on fait de la télé-expertise, mais à l'ancienne, via un mail ou un coup de téléphone » déclare Bertrand Issartel depuis sa structure MIIT. « Ce qui a changé, c'est la formalisation et l'homogénéisation de ces pratiques. Nous passons désormais par une plateforme de télé-expertise sécurisée, avec une valorisation de ces actes qui étaient autrefois gratuits ». Aujourd'hui, la télé-expertise est facturée 10 euros pour le médecin demandant l'avis d'un expert, et 20 euros pour ce dernier. Le tout pris en charge à 100 % par l'Assurance Maladie. En infectiologie, le cadre et les outils offerts par la télé-expertise permettent d'améliorer la qualité des avis donnés par les infectiologues, notamment par la traçabilité qu'elle rend possible. Les réunions de concertation pluridisciplinaires se voient également facilitées par les outils de télé-médecine.
Un système novateur
« La grande difficulté consiste à faire la part des choses entre une demande d'expertise complète très formalisée, structurée, et une simple demande de conseil à un collègue. Il faut donc avoir de la souplesse pour trouver un équilibre entre ces deux cas bien différents » estime l'infectiologue David Morquin. Ce spécialiste de la gestion des systèmes d'information a mis en place en 2012 au CHU de Montpellier un système complet de télé-expertise en infectiologie, avec numéro unique à contacter 24h/24, routage d'appel, procédure de file d'attente et deux à trois internes en permanence au bout du fil.
Lorsqu'un médecin faisant partie du même groupement hospitalier appelle le numéro dédié, l'interne va pouvoir accéder au dossier du patient, refaire une synthèse de la situation et transmettre le tout à un infectiologue senior. « Lorsque ce dernier apporte une réponse, le médecin requérant la verra directement sur le dossier patient informatisé, avec en plus une série de consignes générée automatiquement en fonction de la molécule proposée. »
Ce système innovant, qui gère en moyenne 50 à 70 demandes d'expertises chaque jour, présente également un grand intérêt pour la recherche médicale, avec ses quelque 30 000 avis enregistrés depuis 2012. « Rien que l'analyse des demandes quotidiennes nous offre de nombreux enseignements utiles », reprend David Morquin. « Nous avons déjà détecté une vague de Covid-19 juste en analysant les thématiques d'appels. Le système peut également repérer une augmentation des motifs d'appels liés à une infection post-opératoire, ce qui entraîne alors un signalement automatique aux unités opérationnelles d'hygiène concernées. » Des informations capitales qui passaient auparavant totalement sous le radar lorsque les médecins se contentaient d'un simple mail envoyé à leurs collègues… Les nouveaux outils de télé-médecine, comme les plateformes sécurisées d'échanges entre professionnels de santé, permettent à la fois de démocratiser ces pratiques, mais facilitent également la diffusion de programmes de santé publique, comme le bon usage des antibiotiques. Si elle doit bien sûr être encadrée, la télé-médecine et le traitement des données ouvrent ainsi bien plus de perspectives qu'une simple pratique médicale effectuée à distance.
Ce reportage vous a été proposé par la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF).
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Un grand merci aux docteurs Bertrand ISSARTEL, Bénédicte MELOT et David MORQUIN pour leurs témoignages.