Antibiotiques chez l’enfant : une surconsommation inquiétante
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Avec la levée des mesures de distanciation sociale, les maladies infantiles ont fait leur grand retour, et avec elles les prescriptions d'antibiotiques. Pour preuve, les pénuries d'amoxicilline de cet hiver. Celles-ci sont l'occasion de rappeler qu'en réservant cette classe de médicaments aux cas qui le justifient, on limiterait à la fois les tensions d'approvisionnement et les risques d'antibiorésistance.
Près de 1,3 million de personnes meurent chaque année dans le monde de pathologies liées à des bactéries résistantes aux antibiotiques. Et ce chiffre ne fait qu'augmenter : si rien n'est fait, il pour- rait atteindre 10 millions en 2050 ! Des maladies que l'on pensait en grande partie vaincues pourraient re- devenir incurables, et des gestes chirurgicaux courants redevenir périlleux : à force de prescriptions répétées et souvent inappropriées d'antibiotiques, on finit par sélectionner des bactéries qui n'y sont pas sensibles. En France, plusieurs campagnes de sensibilisation ont déjà permis de faire bouger les choses. On se sou- vient notamment du slogan « Les antibiotiques, c'est pas automatique ! », lancé en 2002 pour rappeler queces médicaments ne servent à rien contre les virus, ou encore de celui de 2018 – « ils sont précieux, utili- sons les mieux » – qui soulignait à quel point il est vital de préserver l'efficacité de ces médicaments à long terme. Mais des efforts restent à faire : la France
reste le 4e pays le plus consommateur d'antibiotiques
en Europe. Rien qu'en médecine de ville, on comptait pour cette classe de médicaments 704,6 prescriptions pour 1 000 habitants et par an en 2021. Cela a conduit à la consommation de 18,9 doses définies journalières (DDJ) pour 1 000 habitants et par an, contre 15 en moyenne en Europe. C'est pourquoi le ministère en charge de la Santé a lancé en 2022 une nouvelle Stratégie nationale de prévention des infections et de l'antibiorésistance, visant à réduire de 25 % l'usage de ces médicaments d'ici 2025.
Des effets indésirables différés et transmissibles Ce plan arrive au bon moment. Après les confinements de 2020-2021, qui ont évité aux jeunes enfants de tomber aussi souvent malades que d'habitude, Santé Publique France s'inquiète d'une forte reprise des prescriptions d'antibiotiques chez les moins de 4 ans. Les angines, otites, bronchites, bronchiolites et autres maux hivernaux circulent de nouveau, sans toutefois justifier un tel pic de consommation d'antibiotiques pendant l'automne et l'hiver 2022-2023. Selon une
étude récente, 25% des enfants malades voyant un médecin généraliste et 20 % des enfants vus par un pédiatre pour une visite non programmée se voient prescrire une antibiothérapie, dans 80 % des cas pour une infection ORL ou respiratoire qui a de fortes chances d'être virale. « Des praticiens continuent de prescrire des antibiotiques par habitude, par peur de passer à côté d'une maladie grave ou par crainte d'être considéré comme un mauvais médecin s'ils ne prescrivent rien d'autre que du paracétamol, confirme le Pr. Yves Gillet, chef adjoint du service des urgences et de réanimation pédiatrique des Hospices Civils de Lyon (HCL). Même s'ils ont entendu parler d'antibiorésistance, ils ne la voient pas au quotidien. Une seule prescription d'antibiotique suffit à sélectionner des pathogènes moins sensibles, mais cet impact n'est pas immédiat : les patients peuvent conserver les bactéries résistantes dans leurs intestins plusieurs semaines ou mois après la fin de leur traitement, sans en souffrir, et les transmettre à des proches sans s'en rendre compte. Ces derniers peuvent à leur tour contaminer leur entourage, jusqu'à ce qu'une personne plus fragile en soit affectée. Cela explique que des nouveau-nés puissent souffrir d'une pyélonéphrite résistante aux traitements, sans avoir jamais été en contact avec des antibiotiques. »
Les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), tout comme celles de la Haute Autorité de santé (HAS), sont claires : l'usage des antibiotiques doit être réservé aux indications qui le justifient : an- gines à streptocoque A chez les patients de plus de 3 ans, otites moyennes aiguës purulentes de l'enfant de moins de 2 ans, pneumonies, pyélonéphrites, in- fections cutanées, méningites bactériennes, états de choc septique… Celles-ci ne sont pas si fréquentes.
Un problème de temps médical ?
Des outils permettent de réduire, sans risque, le nombre de ses prescriptions. Par exemple, un test rapide d'orientation diagnostique (TROD), indolore et gratuit, permet aux médecins de savoir si une angine est due à un streptocoque ou non. Les tests de dépistage du SARS-CoV-2 ou de la grippe, utilisés par certains médecins en cabinet ou par certains patients en pharmacie, permettent d'avoir la certitude que les antibiotiques ne serviront à rien. Dans le cas des otites, l'examen du tympan permet de faire la différence entre une cause virale ou bactérienne. En cas de fièvre inexpliquée, un test urinaire permet d'orienter vers une infection urinaire, puis de cibler la bonne bactérie. Mais tous ces tests et analyses demandent du temps, tout comme le fait d'expliquer aux parents pourquoi on ne prescrit rien. Les médecins en manquent, si bien que « ces étapes relèvent d'une démarche volontaire. Pourtant, c'est la base du métier de dresser le bon diagnostic pour proposer le soin le plus approprié », tient à rappeler la Pr. Mathie Lorrot, pédiatre au sein de l'équipe opérationnelle d'infectiologie pédiatrique du CHU Armand Trousseau de Paris. En cas d'incertitude, certains praticiens optent pour une antibiothérapie différée : ils proposent aux parents de ne donner le traitement que si la fièvre ou la douleur persistent au-delà de quelques jours, ou après réception des résultats des analyses. Le plus souvent, le mal passe tout seul, et l'ordonnance reste inutilisée.
Des vaccins contre l'antibiorésistance ?
Réduire la consommation d'antibiotiques permettrait non seulement de limiter l'apparition de nouvelles antibiorésistances, mais aussi d'en supprimer. « Le phénomène est réversible, confirme la Pr. Lorrot. Il y a vingt ans, plus de la moitié des pneumocoques avaient acquis une sensibilité diminuée à la pénicilline, et 13,3 % y étaient déjà résistants. Ce dernier taux est tombé à 3,5 % en 2020. Plusieurs mesures ont permis cela : les campagnes de sensibilisation du public, les recommandations professionnelles incitant à n'utiliser qu'en dernier recours les antibiotiques à large spectre et, surtout, la généralisation de la vaccination des nourrissons contre les pneumocoques. Celle-ci, en ciblant les souches les plus résistantes, leur a fait perdre du terrain. »
De façon générale, « les vaccins jouent un rôle important dans la réduction du nombre de prescriptions d'antibiotiques. Ils permettent d'éliminer ou de réduire des infections bactériennes qui, comme la diphtérie, la coqueluche, les infections à pneumocoque, à Haemophilus influenzae b ou à méningocoque, ne se traitent que par antibiothérapie, ajoute le Pr Robert Cohen, président du groupe de pathologie infectieuse pédiatrique (GPIP) et du Conseil national professionnel de pédiatrie. Quand les vaccins visent des virus (rougeole, oreillons, rubéole, varicelle, grippe…), ils réduisent le nombre d'enfants malades. Or, chaque épisode infectieux évité est une occasion en moins de prescrire des antibiotiques. »
CHIFFRES
125 000 infections à bactéries multirésistantes ont été comptabilisées en France en 2015, dont plus de 5 500 ont conduit au décès.
(source : Santé Publique France)
16,3 % C'est la baisse du nombre de prescriptions d'antibiotiques entre 2011 et 2021 en France. (source : ESAC-Net)
Bon à transmettre aux patients
La lutte contre l'antibiorésistance passe aussi par :
• les mesures d'hygiène et de prévention des infections (lavage des mains, utilisation de mouchoirs à usage unique, port du masque…) ;
• un meilleur usage des antibiotiques chez les animaux domestiques ;
• le choix de viandes résultant d'élevage ayant un recours raisonné aux antibiotiques ;
• le fait de ne pas jeter ses antibiotiques périmés dans la l'évier ou les toilettes.
En effet, une bactérie devenue résistante aux antibiotiques et persistant dans l'intestin d'un poulet, les poumons d'un chien ou dans la nature est susceptible de contaminer les humains, ou de transmettre son gène de résistance à d'autres bactéries.
Ce reportage vous a été proposé par la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF).
Retrouvez plus d'articles sur le site https://www.infectiologie.com/fr/, onglet « Pour le grand public ».
Un grand merci aux Professeurs Mathie LORROT, Robert COHEN, Yves GILLET pour leurs témoignages.