Infectiologie : quels relais pour les médecins ?
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La lutte contre l'antibiorésistance manque de bras
À l'hôpital ou en ville, le secteur de la santé souffre d'un manque chronique de personnel. « C'est le cercle vicieux : moins il y a de monde, plus c'est difficile » abonde le Dr Marie-Anne Bouldouyre, infectiologue à l'Hôpital Saint-Louis, à Paris. Outre les vagues épidémiques, les infectiologues luttent aussi contre un tsunami annoncé : l'antibiorésistance. Si les antibiotiques continuent de sauver des vies, leur utilisation massive – parfois à mauvais escient – provoque une résistance croissante chez les bactéries, avec des conséquences dramatiques. Aujourd'hui en France, 5 500 personnes par an meurent à cause d'une bactérie contre laquelle les antibiotiques ne font plus effet. D'ici 2050, elles pourraient être 39 millions dans le monde, si on ne diminue pas drastiquement notre consommation.Le Dr Bouldouyre, à la tête du Centre Régional en Antibiothérapie (CRAtb) d'Île-de-France, prêche pour un meilleur usage des antibiotiques auprès des soignants, qu'ils exercent en ville, à l'hôpital ou en EHPAD. Si tous ont conscience du problème, faire changer les pratiques reste un défi. « Notre but, c'est de sensibiliser, informer et aider à la juste prescription. Il faut que chacun se sente acteur à son niveau dans la lutte contre l'antibiorésistance ; en économisant les antibiotiques, en ne les prescrivant que quand c'est nécessaire, à bonne dose, pendant la bonne durée et avec un traitement ciblé », c'est-à-dire qui tue la bactérie responsable de l'infection, mais le moins possible d'autres bactéries présentes dans le tube digestif. « Pour cette prévention, on manque de bras. On essaie d'axer sur la ville, car 90 % des antibiotiques y sont délivrés. »
Pharmaciens et infirmiers en première ligne
Pour les angines – virales dans la majorité des cas – et les infections urinaires, un premier relais se profile. En effet, depuis juin 2024, les pharmaciens peuvent prescrire des antibiotiques adaptés, sous conditions et après réalisation des tests rapides d'orientation diagnostique (TROD). Ces derniers consistent en un test buccal pour l'angine à streptocoque A, et une bandelette urinaire pour la cystite. Si l'infection se révèle bactérienne, le professionnel de santé peut alors prescrire des antibiotiques sans ordonnance. Un moyen de désengorger les cabinets médicaux et d'offrir une alternative, selon le Dr Bouldouyre : « La pharmacie est le premier contact des patients, avec une amplitude horaire en ville de 24h/24, 7j/7. »L'autre relais essentiel ? Les infirmiers. Éduquer patients et soignants, voilà la mission d'Aurélien Le Breton, infirmier au Centre hospitalier de Perpignan et membre d'une équipe multidisciplinaire en antibiothérapie (EMA) : « Un cas qui m'arrive régulièrement est celui d'une intervention chirurgicale avec du matériel infecté. Le médecin prescrit le traitement et 15 jours plus tard, je reçois le patient. On reprend ensemble toute l'histoire, et je m'assure qu'il a compris. Je vérifie les prises de sang et on discute des effets indésirables. Je lui donne aussi une fiche explicative pour chaque antibiotique. » Un accompagnement précieux pour le patient, souvent perdu ou intimidé face au médecin, et le gage d'un traitement bien suivi.
« Référent antibiotiques » au sein de son service, Aurélien Le Breton sensibilise aussi ses collègues d'hôpital au bon usage des antibiotiques : « J'interviens auprès des paramédicaux, infirmiers et aides-soignantes. Quand les médecins jouent le jeu, ils participent aussi. Ils n'ont d'ailleurs pas toujours les meilleurs résultats ! En partant de cas cliniques simples, on creuse des problématiques. Le but, c'est d'éviter les automatismes en termes de prescription de médicaments en se posant les bonnes questions. Je fais aussi des formations et des audits. » En 2025, les compétences de l'infirmier vont s'élargir. « Le protocole de coopération en cours d'écriture devrait me permettre, dans un suivi d'antibiothérapie, de prescrire des traitements symptomatiques pour soulager des effets indésirables, comme la diarrhée ou les nausées. Je pourrais aussi prescrire des prises de sang complémentaires, si les résultats me semblent peu satisfaisants, et des transports médicalisés. » Soit une charge en moins pour les médecins.
Enfin, il existe un troisième relais, dont certains ne soupçonnent pas encore l'importance : l'intelligence artificielle (IA) et les logiciels d'aide à la décision.
Des outils logistiques et d'aide à la décision
Pour limiter le mésusage des antibiotiques, les médecins de ville disposent déjà d'outils d'aide à la décision. Une fois le diagnostic posé, Antibioclic par exemple est un site web suggérant des traitements adaptés, selon les caractéristiques de l'infection et du patient. Il s'appuie sur les recommandations nationales et celles des sociétés savantes. Mais la révolution à venir trouve sa source dans l'IA. À l'instar de ChatGPT, capable d'analyser et générer du texte, la propagation fulgurante des modèles massifs de langage, ou « large language models » en anglais, ouvre un champ des possibles jusque-là inimaginable.« On voit arriver les premiers outils de reconnaissance conversationnelle. Vous faites votre consultation en discutant les yeux dans les yeux et vous n'avez plus à vous soucier de saisir les informations. Derrière, le système va vous proposer un compte-rendu, voire une assistance avec des suggestions », explique le Pr David Morquin, infectiologue au CHU de Montpellier et directeur médical de l'Espace de recherche et d'intégration des outils numériques en santé (ERIOS). Éviter la perte d'information, déléguer à l'IA les tâches chronophages et usantes pour gagner du temps de pratique médicale, voilà la promesse. À l'hôpital, l'IA pourrait également soulager les fonctions support : gestion des dossiers des patients, des plannings, des ressources humaines et matérielles.
IA générative : jusqu'où ira-t-elle ?
Pour le Pr Morquin, l'IA va également bouleverser la recherche clinique : « Le fait de pouvoir traiter le langage et le texte va changer la manière de trouver des corrélations et chercher des causalités. On va pouvoir investiguer des quantités d'informations qui n'étaient pas encore prises en compte ». D'autre part, la capacité d'analyser des volumes gigantesques de données va affûter la modélisation des épidémies et des infections, permettant de mieux les comprendre et les anticiper. Imaginez alors un modèle traitant les données du patient, comme ses résultats d'analyses, et repérant les signes annonciateurs d'une aggravation bien avant qu'elle ne survienne.« Pour la partie diagnostic et assistance, on va faire d'énormes progrès » assure l'infectiologue. Le traitement des images par l'IA est déjà une réalité. Utilisé pour interpréter les radios et les IRM, il permet aussi d'identifier les bactéries, leur résistance et leurs caractéristiques, à partir d'une simple culture bactérienne. Et ce n'est que le début : en plus des textes et des images, l'IA peut également analyser les signaux, comme ceux de la voix. Des recherches en cours suggèrent ainsi « qu'avec l'analyse de la respiration ou de la voix, on pourrait discriminer les différents types de virus ». La répercussion espérée pour les infectiologues : des diagnostics plus précoces, fiables et complets.
Malgré tout, que l'on parle d'expérimentation, d'évaluation scientifique, de règlementation, de protection des données, de formation des soignants ou encore de moyens techniques et financiers, le Pr Morquin temporise : beaucoup d'obstacles encombrent encore la voie vers des outils d'IA opérationnels pour les médecins. Car même si ces technologies sont prometteuses, elles nécessitent encore aujourd'hui un énorme travail d'évaluation scientifique pour en tirer le meilleur parti.
Un grand merci au docteur Marie-Anne BOULDOUYRE, au professeur David MORQUIN ainsi qu'à Aurélien LE BRETON pour leurs témoignages.
Ce reportage vous a été proposé par la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF).
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