Les soignants toujours unis pour la sauvegarde de l’Aide Médicale de l’État (AME)
Mercredi 17 Avril 2024
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Lettre ouverte publiée dans le journal Le Monde du 16/04/2024
Nous étions plus de 3000 soignants à appeler au maintien de l'AME le 2 novembre 2023, 23 structures et sociétés savantes à défendre ce dispositif le 28 novembre et plus de 7500 soignants signataires au lendemain du vote de la loi immigration. A la veille d'une réforme annoncée, nous, professionnels de santé, appelons à nouveau à la défense de l'AME contre toute réduction risquant de dégrader son contenu, et par extension le système de soin français. En effet, nous souhaitons rappeler que les personnes sans couverture maladie sont plus souvent prises en soins à des stades plus avancés, au risque d'augmenter la saturation du système de santé et le coût des soins.
Une réforme hâtée
L'AME permet aux personnes en situation irrégulière et de précarité d'accéder aux soins. Depuis sa création en 1999, ce dispositif a fait l'objet de plusieurs réformes, réduisant son accès et sa portée. Bien que le projet de son remplacement par une Aide Médicale d'Urgence ait été écarté, le gouvernement s'est engagé à la réformer cette année sur la base des conclusions du rapport Evin - Stefanini.
L'AME, “un dispositif sanitaire utile et globalement maîtrisé”
Messieurs Evin et Stefanini s'accordent sur plusieurs points clés :
1/ S'il existe bien une augmentation des dépenses d'AME, elle est corrélée à l'augmentation du nombre de bénéficiaires, tandis que “la consommation trimestrielle moyenne par bénéficiaire est restée stable en dépit de l'augmentation du coût des soins sur cette période” (642 € en 2009 vs 604 € en 2022, soit une baisse de 5% dans un contexte d'inflation de 30%). Au total, 968 M€ sont consacrés à ce dispositif, soit 0.5% du budget de l'assurance maladie.
2/ L'AME est “la prestation gérée par l'assurance maladie dont le taux de contrôle est le plus élevé”, permettant de limiter drastiquement le risque de fraude (moins de 3% d'anomalies constatées).
3/ Les données disponibles contredisent l'idée que l'AME est un facteur d'attractivité pour les candidats à l'immigration, ou un facteur de maintien dans la clandestinité en France. Il n'est pas le dispositif le plus généreux d'Europe : plusieurs pays voisins offrent un panier de soins plus large, ou avec moins de restrictions d'accès notamment relatives au plafond de ressources.
4/ Si l'AME est “un dispositif correctement cadré sur le plan réglementaire et largement opérationnel”, son périmètre restreint, excluant notamment ses bénéficiaires du dispositif ”médecin traitant” et des campagnes de dépistage, affecte “la fluidité et l'efficience du parcours de soins”. Il existe par ailleurs un effet seuil radical : toute personne dont les ressources sont supérieures au plafond de 810 € par mois en est exclue, y compris les travailleurs sans papiers dont les cotisations participent pourtant au financement de l'assurance maladie. A ces limites s'ajoutent un risque de discrimination (14 à 36% de chances en moins d'avoir un rendez-vous chez le généraliste), et un niveau de non-recours préoccupant (50% des personnes éligibles n'en disposent pas).
L'AME, “un dispositif qui mérite d'être adapté”, mais pas à n'importe quel prix
Nous partageons le diagnostic de son utilité.
Nous soutenons les dispositions proposées pour améliorer la fluidité du dispositif (informatisation de la carte de bénéficiaire, inclusion dans les dispositifs de l'assurance maladie promouvant la prévention et l'organisation de soins coordonnés).
Nous estimons en revanche que les propositions de réduction de son champ vont à l'encontre des principes d'universalité du soin, d'humanité et d'indépendance du secteur de la santé.
Nous sommes défavorables à toute complexification des démarches administratives pour recourir à l'AME (exigence d'une présence physique à chaque dépôt de dossier et retrait de carte par exemple), que l'on sait être un facteur supplémentaire de renoncement à l'AME et au soin. En 2023, une enquête associative alertait sur la détérioration de l'accès à l'AME liée à un cumul d'obstacles administratifs : 64% des personnes interrogées avaient rencontré des difficultés pour se soigner faute de couverture maladie, et, parmi elles, 7 personnes sur 10 avaient renoncé aux soins. L'enjeu est donc de diminuer le non-recours à l'AME, qui a pour conséquences d'orienter ces patients vers des services d'urgence déjà saturés, et d'accroître les coûts et la pression sur l'hôpital par des prises en soin plus tardives.
Nous nous inquiétons également de ce que certaines prestations telles que l'hospitalisation à domicile, les soins de suite et réadaptation ou la kinésithérapie en ville soient soumises à un accord préalable, au risque d'un allongement inutile et coûteux des séjours hospitaliers et, par ricochet, d'une paralysie des services préjudiciable à tous les bénéficiaires du système de santé.
Enfin, nous soutenons la proposition d'un bilan santé pour toutes les personnes primo-arrivantes. Nous insistons pour que cette mesure soit placée sous la responsabilité du Ministère de la Santé et non du Ministère de l'Intérieur, en privilégiant des consultations sur un budget dédié impliquant une coordination des acteurs du territoire déjà mobilisés sur la question. Ce bilan ne devrait pas exclure, mais au contraire soutenir le dépistage et la prise en soins des troubles sensoriels (visuels, auditifs), favorisant les chances d'une intégration réussie, par l'éducation ou le travail.
Par cette tribune, nous alertons donc de nouveau sur le risque éthique, humain, mais aussi économique d'une nouvelle restriction de l'accès aux soins des personnes en situation irrégulière. Conscients des enjeux de cette réforme, nous soutenons les mesures pour aller vers un système de santé plus universel et plus juste. Une santé dégradée coûte plus cher qu'une santé préservée, attelons-nous aujourd'hui à rendre les soins plus accessibles à tous.
Organisations signataires au 15/04/2024 :
https://1drv.ms/x/s!AmlSEi3lT2h4jKpF4qJlTWzmdVT3AA
Lettre ouverte publiée dans le journal Le Monde du 16/04/2024
Nous étions plus de 3000 soignants à appeler au maintien de l'AME le 2 novembre 2023, 23 structures et sociétés savantes à défendre ce dispositif le 28 novembre et plus de 7500 soignants signataires au lendemain du vote de la loi immigration. A la veille d'une réforme annoncée, nous, professionnels de santé, appelons à nouveau à la défense de l'AME contre toute réduction risquant de dégrader son contenu, et par extension le système de soin français. En effet, nous souhaitons rappeler que les personnes sans couverture maladie sont plus souvent prises en soins à des stades plus avancés, au risque d'augmenter la saturation du système de santé et le coût des soins.
Une réforme hâtée
L'AME permet aux personnes en situation irrégulière et de précarité d'accéder aux soins. Depuis sa création en 1999, ce dispositif a fait l'objet de plusieurs réformes, réduisant son accès et sa portée. Bien que le projet de son remplacement par une Aide Médicale d'Urgence ait été écarté, le gouvernement s'est engagé à la réformer cette année sur la base des conclusions du rapport Evin - Stefanini.
L'AME, “un dispositif sanitaire utile et globalement maîtrisé”
Messieurs Evin et Stefanini s'accordent sur plusieurs points clés :
1/ S'il existe bien une augmentation des dépenses d'AME, elle est corrélée à l'augmentation du nombre de bénéficiaires, tandis que “la consommation trimestrielle moyenne par bénéficiaire est restée stable en dépit de l'augmentation du coût des soins sur cette période” (642 € en 2009 vs 604 € en 2022, soit une baisse de 5% dans un contexte d'inflation de 30%). Au total, 968 M€ sont consacrés à ce dispositif, soit 0.5% du budget de l'assurance maladie.
2/ L'AME est “la prestation gérée par l'assurance maladie dont le taux de contrôle est le plus élevé”, permettant de limiter drastiquement le risque de fraude (moins de 3% d'anomalies constatées).
3/ Les données disponibles contredisent l'idée que l'AME est un facteur d'attractivité pour les candidats à l'immigration, ou un facteur de maintien dans la clandestinité en France. Il n'est pas le dispositif le plus généreux d'Europe : plusieurs pays voisins offrent un panier de soins plus large, ou avec moins de restrictions d'accès notamment relatives au plafond de ressources.
4/ Si l'AME est “un dispositif correctement cadré sur le plan réglementaire et largement opérationnel”, son périmètre restreint, excluant notamment ses bénéficiaires du dispositif ”médecin traitant” et des campagnes de dépistage, affecte “la fluidité et l'efficience du parcours de soins”. Il existe par ailleurs un effet seuil radical : toute personne dont les ressources sont supérieures au plafond de 810 € par mois en est exclue, y compris les travailleurs sans papiers dont les cotisations participent pourtant au financement de l'assurance maladie. A ces limites s'ajoutent un risque de discrimination (14 à 36% de chances en moins d'avoir un rendez-vous chez le généraliste), et un niveau de non-recours préoccupant (50% des personnes éligibles n'en disposent pas).
L'AME, “un dispositif qui mérite d'être adapté”, mais pas à n'importe quel prix
Nous partageons le diagnostic de son utilité.
Nous soutenons les dispositions proposées pour améliorer la fluidité du dispositif (informatisation de la carte de bénéficiaire, inclusion dans les dispositifs de l'assurance maladie promouvant la prévention et l'organisation de soins coordonnés).
Nous estimons en revanche que les propositions de réduction de son champ vont à l'encontre des principes d'universalité du soin, d'humanité et d'indépendance du secteur de la santé.
Nous sommes défavorables à toute complexification des démarches administratives pour recourir à l'AME (exigence d'une présence physique à chaque dépôt de dossier et retrait de carte par exemple), que l'on sait être un facteur supplémentaire de renoncement à l'AME et au soin. En 2023, une enquête associative alertait sur la détérioration de l'accès à l'AME liée à un cumul d'obstacles administratifs : 64% des personnes interrogées avaient rencontré des difficultés pour se soigner faute de couverture maladie, et, parmi elles, 7 personnes sur 10 avaient renoncé aux soins. L'enjeu est donc de diminuer le non-recours à l'AME, qui a pour conséquences d'orienter ces patients vers des services d'urgence déjà saturés, et d'accroître les coûts et la pression sur l'hôpital par des prises en soin plus tardives.
Nous nous inquiétons également de ce que certaines prestations telles que l'hospitalisation à domicile, les soins de suite et réadaptation ou la kinésithérapie en ville soient soumises à un accord préalable, au risque d'un allongement inutile et coûteux des séjours hospitaliers et, par ricochet, d'une paralysie des services préjudiciable à tous les bénéficiaires du système de santé.
Enfin, nous soutenons la proposition d'un bilan santé pour toutes les personnes primo-arrivantes. Nous insistons pour que cette mesure soit placée sous la responsabilité du Ministère de la Santé et non du Ministère de l'Intérieur, en privilégiant des consultations sur un budget dédié impliquant une coordination des acteurs du territoire déjà mobilisés sur la question. Ce bilan ne devrait pas exclure, mais au contraire soutenir le dépistage et la prise en soins des troubles sensoriels (visuels, auditifs), favorisant les chances d'une intégration réussie, par l'éducation ou le travail.
Par cette tribune, nous alertons donc de nouveau sur le risque éthique, humain, mais aussi économique d'une nouvelle restriction de l'accès aux soins des personnes en situation irrégulière. Conscients des enjeux de cette réforme, nous soutenons les mesures pour aller vers un système de santé plus universel et plus juste. Une santé dégradée coûte plus cher qu'une santé préservée, attelons-nous aujourd'hui à rendre les soins plus accessibles à tous.
Organisations signataires au 15/04/2024 :
https://1drv.ms/x/s!AmlSEi3lT2h4jKpF4qJlTWzmdVT3AA
Sociétés savantes |
Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA), Dr Andréas Wermer, président Collège de la médecine générale (CMG), Pr Paul Frappé, président |
Collège national des généralistes enseignants (CNGE), Pr Olivier Saint-Lary, président Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), Leslie Cohen, coordinatrice Collège national des sages-femmes de France (CNSF), Eléonore Bleuzen-Her, présidente Conseil national professionnel de pédiatrie (CNP Pédiatrie), Pr Emmanuel Cixous, président Fédération française de pneumologie (FFP), Pr Christophe Leroyer, président Société française d'endocrinologie (SFE), Pr Gerald Raverot, président |
Société française de lutte contre le sida (SFLS), Dr Hugues Cordel, président |
Société française de médecine d'urgence (SFMU), Pr Sandrine Charpentier, présidente |
Société française de microbiologie (SFM), Pr Sonia BURREL, présidente Société française de pédiatrie (SFP), Pr Agnès Linglart, présidente |
Société française de pneumologie de langue française (SPLF), Pr Jésus Gonzalez, président Société française de recherche des infirmiers en pratique avancée (SoFRIPA), Sébastien Chapdaniel, président |
Société française de santé publique (SFSP), Pr Anne Vuillemin, présidente |
Société française du cancer (SFC), Dr Manuel Rodrigues, président |
Société française d'hématologie (SFH), Pr Thierry Facon, président |
Société francophone de médecine tropicale et de santé internationale (SFMTSI), Pr Eric Pichard, président |
Société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation (SFNDT), Pr François Vrtovsnik, président Société française de virologie (SFV), Dr Noël Tordo, président |
Société de pathologie infectieuses de langue française (SPILF), Dr Bernard Castan, président |
Société de réanimation de langue française (SRLF), Pr Laurent Papazian, président |
Société de médecine des voyages (SMV), Pr Christophe Rapp, président |
Autres groupes professionnels |
Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA), Dr Andréas Wermer, président Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF), Lysa Da Silva, présidente Collectif des Médecins généralistes pour l'accès aux soins (CoMeGAS), Dr Martine Lalande Collégiale de pédiatrie d'Ile-de-France, Pr Loic De Pontual, président |
Comité pour la santé des exilés (Comede), Dr Arnaud Veisser, directeur |
Conférence nationale des présidents de CME de CMG des Centres Hospitaliers (CMECH), Dr Thierry Godeau, président |
Conférence nationale des présidents de CME des Centres Hospitaliers Spécialisés (CMECHS), Dr Christophe Schmitt, président Conférence nationale des présidents de CME des Centres Hospitaliers Universitaires (CMECHU), Pr Remi Salomon, président |
Coordination nationale des PASS, Dr Rémi Laporte, coordonateur régional des PASS région PACA |
Fédération française des diabétiques (FFD), Jean-François Thebaut, vice-président |
Fédération nationale des centres de santé (FNCS), Dr Hélène Colombani, présidente Fédération nationale des étudiants.e.s en kinésithérapie, Maxime Marcoin, président |
Groupe de pédiatrie générale sociale et environnementale (GPSE), Dr Elisabeth Martin Lebrun, présidente |
Groupe de pédiatrie tropicale (GPTrop), Pr Albert Faye, président |
Groupe francophone de réanimation et d'urgence pédiatrique (GFRUP), Pr Stéphane Leteurtre, président |
Institut Jean-François Rey (IJFR), Dr Alain Beaupin, président |
Intergroupe Migrants et populations vulnérables de la SPILF et de la SFLS, Pr Nicolas Vignier, co-coordonateur |
Pédiatres du Monde, Dr Chantal Karila, présidente Samu urgences de France (SUDF), Dr Marc Noizet, président |
Société de formation thérapeutique du généraliste (SFTG), Dr François Bloe, président Syndicat national des pédiatres hospitaliers, Dr Jeremy Do Cao, président Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs, élargi aux autres spécialités (SNPHAR), Dr Anne Geffroy-Wermet, présidente |
Syndicat national des médecins de PMI (SNMPMI), Pierre Suesser, président |
Union syndicale des médecins de centres de santé (USMCS), Dr Frédéric Villebrun, président |