Gazette de l'infectiologie: Vivre avec le VIH en 2025
Vendredi 29 Novembre 2024
Vivre avec le VIH en 2025
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40 ans après sa découverte, le virus responsable du sida, le VIH, continue de faire peur. Pourtant, le quotidien d'une personne séropositive n'a aujourd'hui plus rien à voir avec les meurtrières « années sida ». Avec des traitements toujours plus performants et moins contraignants, il est désormais possible de vivre normalement avec le VIH.
En 1988, 61 % des français interrogés étaient capables de faire la distinction entre une personne séropositive, porteuse du VIH, et une personne atteinte du sida, la phase la plus grave provoquée par ce virus en l'absence de traitements. En 2024, ils n'étaient plus que 49 % à pouvoir faire ce distinguo, selon un sondage Ifop mené pour l'association AIDES. Cette étude regorge de chiffres alarmants, autant sur la méconnaissance du VIH que sur la crainte qu'il inspire. En 1988 comme en 2024, les français sont toujours près de 40 % à avoir peur « d'attraper le sida ».
À presque 40 ans d'intervalle, la situation a pourtant radicalement changé. « Cela reste toujours un moment délicat d'annoncer à quelqu'un qu'il est séropositif, mais on se veut aujourd'hui particulièrement rassurant : on explique qu'il faudra prendre des médicaments toute sa vie, comme pour une maladie chronique, mais qu'il sera possible d'avoir des enfants, une sexualité sereine et une espérance de vie normale, raconte Romain Palich, infectiologue, à l'hôpital Pitié-Salpêtrière. Le plus difficile finalement, c'est le regard de la société sur la maladie. »
Au CHU de Rennes, le président du CoreVIH Bretagne confirme lui aussi le décalage entre l'image fantasmée du VIH et la réalité médicale. « Au fil des années, j'ai vu la situation clinique s'améliorer à tous les niveaux, bien plus vite que les mentalités, soupire le docteur Cédric Arvieux, aux premières lignes de la pandémie depuis le début des années 1990. Encore aujourd'hui, la pression sociétale est telle que certains patients ne parviennent pas à dire les mots VIH ou séropositivité ».
Des premiers traitements lourds
Pour l'infectiologue rennais, les raisons sont en partie historiques, à chercher dans les origines de l'épidémie. Dans les années 1980 et 1990, le VIH est associé à des populations stigmatisées – homosexuels, Haïtiens, consommateurs de drogues… – mais aussi aux ravages de la maladie qu'il cause, le sida. Ces « années sida » et leur cortège de morts ont marqué durablement les esprits. « L'arrivée des premiers traitements, et en particulier les trithérapies à la fin des années 1990, n'ont pas radicalement changé cette vision, reprend Cédric Arvieux. Il faut dire qu'au départ on ne traitait que les personnes les plus malades, qui parfois préféraient abandonner ces traitements très contraignants en cours de route. »
Amélie Ménard, infectiologue à l'IHU Méditerranée Infection et qui travaille depuis plus de 20 ans sur le sujet, a elle aussi vu le poids très lourd des premiers traitements. « Les premières trithérapies ont permis de faire chuter le nombre de décès, mais au prix de beaucoup d'effets secondaires digestifs, cardiaques, neurologiques… Tout le quotidien des patients était tourné autour du traitement. »
Puis, l'évolution progressive des traitements a permis peu à peu d'améliorer le quotidien des personnes séropositives. Là où dans les années 1990 certains patients devaient ingérer une quarantaine de médicaments par jour, la plupart ne prennent aujourd'hui qu'un seul comprimé quotidien (STR, pour « single tablet regimen »). L'arrivée d'autres classes de médicaments comme les anti-intégrases, moins toxiques et mieux tolérées par l'organisme, ont également changé la donne. « Certains patients présentent encore parfois quelques effets secondaires, comme du diabète ou une prise de poids anormale, mais cela reste rare, reprend Amélie Ménard. Aujourd'hui, on poursuit dans ce sens par l'allègement des traitements, avec des bithérapies proposées à certains patients à la place des traditionnelles trithérapies, afin de limiter encore plus la toxicité à long terme des médicaments tout en gardant la même efficacité. »
Indétectable, donc intransmissible
L'efficacité des traitements, justement, est aujourd'hui bien loin des aprioris négatifs du grand public. Selon le récent sondage de l'Ifop pour AIDES, 77 % des français interrogés pensent – à tort – qu'il est possible d'être infecté par le VIH en ayant un rapport sexuel non protégé avec une personne séropositive sous traitement. Dans les faits pourtant, il suffit de quelques semaines à quelques mois après le début du traitement pour avoir une charge virale indétectable : le virus est toujours présent dans l'organisme, mais en trop petite quantité pour être transmis à son partenaire – ou à son enfant pendant la grossesse. Par contre, dès que l'on arrête le traitement, le virus recommence à se multiplier.
« Il faut donc être très vigilant dans la prise de son traitement, s'il y a des oublis réguliers, cela peut entraîner des problèmes assez rapidement, alerte Amélie Ménard. Lorsque des patients se retrouvent trop souvent dans cette situation, on leur propose alors un traitement sous forme injectable ». Il s'agit des mêmes types de traitement que pour une prise orale, seul le mode d'administration change : une injection par piqure effectuée une fois tous les deux mois seulement. De quoi, là encore, faciliter la vie de certaines personnes séropositives.
Quelle que soit leur forme, les traitements contre le VIH ont révolutionné la vie des patients, constate l'infectiologue marseillaise. « Découvrir aujourd'hui sa séropositivité rapidement après avoir été contaminé et pouvoir entrer dans le soin au plus vite, c'est avoir la même espérance de vie que n'importe qui. Mais lorsque le patient a été infecté il y a 20 ou 30 ans, ou que le diagnostic a été posé tardivement, la qualité de vie est moins bonne. Tout le temps que le virus a pu passer dans l'organisme sans être traité, cela laisse des traces. Il est donc extrêmement important de se faire dépister au plus tôt dans sa maladie ».
La révolution PrEP
Ces dernières années, une autre innovation a permis une avancée majeure dans la lutte contre le VIH : la PrEP, pour prophylaxie pré-exposition. Un médicament à prendre lorsqu'une personne séronégative se retrouve dans une « situation à risque » d'être contaminée par le virus. « On propose la PrEP au cas par cas, selon plusieurs critères : les difficultés à utiliser le préservatif, le nombre de partenaires sexuels, le fait d'avoir eu plusieurs IST récemment, l'usage de drogues pendant les rapports, et plus globalement à la grande majorité des personnes qui en ressentent le besoin » liste Romain Palich à la Pitié-Salpêtrière.
La PrEP peut se prendre soit de manière ponctuelle autour d'une situation à risque, avec des comprimés à avaler avant et après, soit de manière continue, sur des durées très variables en fonction de l'évolution de la sexualité. D'autre part, une forme injectable en intramusculaire tous les deux mois devrait arriver en Europe prochainement. Une autre forme injectable, en sous-cutané cette fois-ci et tous les six mois seulement, est même à l'étude. Injectable ou en prise orale, la PrEP a en tout cas montré toute son efficacité : « prise correctement, le risque d'infection tend vers zéro », résume simplement l'infectiologue parisien. Entre autres exemples, le nombre de nouveaux diagnostics de VIH a été divisé par deux à San Francisco seulement quatre ans après la mise sur le marché de la PrEP. « C'est un outil très puissant dans la lutte contre le VIH, mais encore faut-il que les gens soient informés de son existence », rappelle cependant Romain Palich. Il n'existe en effet aujourd'hui pas de traitement curatif de cette infection, aussi toutes les méthodes de prévention (préservatif, PrEP...) restent de mise.
Dernière ligne droite
L'ONUSIDA, le programme des Nations unies sur la question du VIH et du sida, estime qu'avec une volonté politique forte, la pandémie de sida peut prendre fin d'ici 2030. Ce qui implique d'avoir 95 % des personnes vivant avec le VIH correctement diagnostiquées, que 95 % d'entre elles suivent un traitement et que 95 % des personnes sous traitement aient une charge virale indétectable. En 2022, ces taux étaient respectivement de 86, 89 et 93 % au niveau mondial.
« Ces objectifs restent atteignables pour 2030, mais évidemment le travail ne sera pas le même d'une région du monde à l'autre, souligne Cédric Arvieux. En France par exemple, nous n'en sommes pas loin, avec environ 200 000 personnes à traiter. En Afrique du Sud, ils sont presque 10 millions ». Selon les derniers chiffres disponibles, près de 40 millions de personnes vivaient avec le VIH en 2023, avec environ 630 000 décès cette année-là.
En France, malgré des traitements accessibles à tous et entièrement remboursés par l'Assurance maladie, encore 142 décès étaient imputables au sida en 2021, faute d'un dépistage et d'une prise en charge précoce, tandis que 28 % des infections au VIH sont encore aujourd'hui découvertes à un stade avancé. Si le chemin parcouru depuis 40 ans est immense, le travail d'information, d'éducation et de prévention n'est pas encore terminé.
Un grand merci au docteurs Amélie MÉNARD, Romain PALICH et Cédric ARVIEUX pour leurs témoignages.
Ce reportage vous a été proposé par la Société
de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF).
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onglet « Pour le grand public ».
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40 ans après sa découverte, le virus responsable du sida, le VIH, continue de faire peur. Pourtant, le quotidien d'une personne séropositive n'a aujourd'hui plus rien à voir avec les meurtrières « années sida ». Avec des traitements toujours plus performants et moins contraignants, il est désormais possible de vivre normalement avec le VIH.
En 1988, 61 % des français interrogés étaient capables de faire la distinction entre une personne séropositive, porteuse du VIH, et une personne atteinte du sida, la phase la plus grave provoquée par ce virus en l'absence de traitements. En 2024, ils n'étaient plus que 49 % à pouvoir faire ce distinguo, selon un sondage Ifop mené pour l'association AIDES. Cette étude regorge de chiffres alarmants, autant sur la méconnaissance du VIH que sur la crainte qu'il inspire. En 1988 comme en 2024, les français sont toujours près de 40 % à avoir peur « d'attraper le sida ».
À presque 40 ans d'intervalle, la situation a pourtant radicalement changé. « Cela reste toujours un moment délicat d'annoncer à quelqu'un qu'il est séropositif, mais on se veut aujourd'hui particulièrement rassurant : on explique qu'il faudra prendre des médicaments toute sa vie, comme pour une maladie chronique, mais qu'il sera possible d'avoir des enfants, une sexualité sereine et une espérance de vie normale, raconte Romain Palich, infectiologue, à l'hôpital Pitié-Salpêtrière. Le plus difficile finalement, c'est le regard de la société sur la maladie. »
Au CHU de Rennes, le président du CoreVIH Bretagne confirme lui aussi le décalage entre l'image fantasmée du VIH et la réalité médicale. « Au fil des années, j'ai vu la situation clinique s'améliorer à tous les niveaux, bien plus vite que les mentalités, soupire le docteur Cédric Arvieux, aux premières lignes de la pandémie depuis le début des années 1990. Encore aujourd'hui, la pression sociétale est telle que certains patients ne parviennent pas à dire les mots VIH ou séropositivité ».
Des premiers traitements lourds
Pour l'infectiologue rennais, les raisons sont en partie historiques, à chercher dans les origines de l'épidémie. Dans les années 1980 et 1990, le VIH est associé à des populations stigmatisées – homosexuels, Haïtiens, consommateurs de drogues… – mais aussi aux ravages de la maladie qu'il cause, le sida. Ces « années sida » et leur cortège de morts ont marqué durablement les esprits. « L'arrivée des premiers traitements, et en particulier les trithérapies à la fin des années 1990, n'ont pas radicalement changé cette vision, reprend Cédric Arvieux. Il faut dire qu'au départ on ne traitait que les personnes les plus malades, qui parfois préféraient abandonner ces traitements très contraignants en cours de route. »
Amélie Ménard, infectiologue à l'IHU Méditerranée Infection et qui travaille depuis plus de 20 ans sur le sujet, a elle aussi vu le poids très lourd des premiers traitements. « Les premières trithérapies ont permis de faire chuter le nombre de décès, mais au prix de beaucoup d'effets secondaires digestifs, cardiaques, neurologiques… Tout le quotidien des patients était tourné autour du traitement. »
Puis, l'évolution progressive des traitements a permis peu à peu d'améliorer le quotidien des personnes séropositives. Là où dans les années 1990 certains patients devaient ingérer une quarantaine de médicaments par jour, la plupart ne prennent aujourd'hui qu'un seul comprimé quotidien (STR, pour « single tablet regimen »). L'arrivée d'autres classes de médicaments comme les anti-intégrases, moins toxiques et mieux tolérées par l'organisme, ont également changé la donne. « Certains patients présentent encore parfois quelques effets secondaires, comme du diabète ou une prise de poids anormale, mais cela reste rare, reprend Amélie Ménard. Aujourd'hui, on poursuit dans ce sens par l'allègement des traitements, avec des bithérapies proposées à certains patients à la place des traditionnelles trithérapies, afin de limiter encore plus la toxicité à long terme des médicaments tout en gardant la même efficacité. »
Indétectable, donc intransmissible
L'efficacité des traitements, justement, est aujourd'hui bien loin des aprioris négatifs du grand public. Selon le récent sondage de l'Ifop pour AIDES, 77 % des français interrogés pensent – à tort – qu'il est possible d'être infecté par le VIH en ayant un rapport sexuel non protégé avec une personne séropositive sous traitement. Dans les faits pourtant, il suffit de quelques semaines à quelques mois après le début du traitement pour avoir une charge virale indétectable : le virus est toujours présent dans l'organisme, mais en trop petite quantité pour être transmis à son partenaire – ou à son enfant pendant la grossesse. Par contre, dès que l'on arrête le traitement, le virus recommence à se multiplier.
« Il faut donc être très vigilant dans la prise de son traitement, s'il y a des oublis réguliers, cela peut entraîner des problèmes assez rapidement, alerte Amélie Ménard. Lorsque des patients se retrouvent trop souvent dans cette situation, on leur propose alors un traitement sous forme injectable ». Il s'agit des mêmes types de traitement que pour une prise orale, seul le mode d'administration change : une injection par piqure effectuée une fois tous les deux mois seulement. De quoi, là encore, faciliter la vie de certaines personnes séropositives.
Quelle que soit leur forme, les traitements contre le VIH ont révolutionné la vie des patients, constate l'infectiologue marseillaise. « Découvrir aujourd'hui sa séropositivité rapidement après avoir été contaminé et pouvoir entrer dans le soin au plus vite, c'est avoir la même espérance de vie que n'importe qui. Mais lorsque le patient a été infecté il y a 20 ou 30 ans, ou que le diagnostic a été posé tardivement, la qualité de vie est moins bonne. Tout le temps que le virus a pu passer dans l'organisme sans être traité, cela laisse des traces. Il est donc extrêmement important de se faire dépister au plus tôt dans sa maladie ».
La révolution PrEP
Ces dernières années, une autre innovation a permis une avancée majeure dans la lutte contre le VIH : la PrEP, pour prophylaxie pré-exposition. Un médicament à prendre lorsqu'une personne séronégative se retrouve dans une « situation à risque » d'être contaminée par le virus. « On propose la PrEP au cas par cas, selon plusieurs critères : les difficultés à utiliser le préservatif, le nombre de partenaires sexuels, le fait d'avoir eu plusieurs IST récemment, l'usage de drogues pendant les rapports, et plus globalement à la grande majorité des personnes qui en ressentent le besoin » liste Romain Palich à la Pitié-Salpêtrière.
La PrEP peut se prendre soit de manière ponctuelle autour d'une situation à risque, avec des comprimés à avaler avant et après, soit de manière continue, sur des durées très variables en fonction de l'évolution de la sexualité. D'autre part, une forme injectable en intramusculaire tous les deux mois devrait arriver en Europe prochainement. Une autre forme injectable, en sous-cutané cette fois-ci et tous les six mois seulement, est même à l'étude. Injectable ou en prise orale, la PrEP a en tout cas montré toute son efficacité : « prise correctement, le risque d'infection tend vers zéro », résume simplement l'infectiologue parisien. Entre autres exemples, le nombre de nouveaux diagnostics de VIH a été divisé par deux à San Francisco seulement quatre ans après la mise sur le marché de la PrEP. « C'est un outil très puissant dans la lutte contre le VIH, mais encore faut-il que les gens soient informés de son existence », rappelle cependant Romain Palich. Il n'existe en effet aujourd'hui pas de traitement curatif de cette infection, aussi toutes les méthodes de prévention (préservatif, PrEP...) restent de mise.
Dernière ligne droite
L'ONUSIDA, le programme des Nations unies sur la question du VIH et du sida, estime qu'avec une volonté politique forte, la pandémie de sida peut prendre fin d'ici 2030. Ce qui implique d'avoir 95 % des personnes vivant avec le VIH correctement diagnostiquées, que 95 % d'entre elles suivent un traitement et que 95 % des personnes sous traitement aient une charge virale indétectable. En 2022, ces taux étaient respectivement de 86, 89 et 93 % au niveau mondial.
« Ces objectifs restent atteignables pour 2030, mais évidemment le travail ne sera pas le même d'une région du monde à l'autre, souligne Cédric Arvieux. En France par exemple, nous n'en sommes pas loin, avec environ 200 000 personnes à traiter. En Afrique du Sud, ils sont presque 10 millions ». Selon les derniers chiffres disponibles, près de 40 millions de personnes vivaient avec le VIH en 2023, avec environ 630 000 décès cette année-là.
En France, malgré des traitements accessibles à tous et entièrement remboursés par l'Assurance maladie, encore 142 décès étaient imputables au sida en 2021, faute d'un dépistage et d'une prise en charge précoce, tandis que 28 % des infections au VIH sont encore aujourd'hui découvertes à un stade avancé. Si le chemin parcouru depuis 40 ans est immense, le travail d'information, d'éducation et de prévention n'est pas encore terminé.
Un grand merci au docteurs Amélie MÉNARD, Romain PALICH et Cédric ARVIEUX pour leurs témoignages.
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