Gazette de l'Infectiologie: Toxi-infections alimentaires : des pathogènes dans l’assiette

Mardi 14 Mai 2024
Toxi-infections alimentaires : des pathogènes dans l'assiette

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Chaque année, entre 10 000 et 16 000 personnes sont touchées par une toxi-infection alimentaire collective (TIAC) en France. Autrement dit, un aliment contaminé par un virus ou une bactérie rendant malade plusieurs personnes. Une infection souvent bénigne aux allures de gastro-entérite, mais qu'il convient de signaler rapidement pour éviter des contaminations massives.
En fin d'année dernière, entre Noël et le jour de l'an, les huitres du bassin d'Arcachon étaient temporairement interdites à la vente, contaminées par un norovirus. Deux mois plus tôt, plus de 200 salariés de la CPAM du Morbihan se trouvaient simultanément en arrêt maladie. Entre les deux événements, on apprenait la mort de quatre résidents dans un Ehpad d'Ille-et Vilaine.
Le point commun entre ces trois faits isolés ? Les TIAC, pour toxi-infection alimentaire collective. Autrement dit, un aliment causant des troubles – généralement intestinaux – à plusieurs consommateurs. « Il s'agit le plus souvent d'un plat contaminé par un virus ou une bactérie, cette dernière produisant une toxine qui cause des symptômes de type gastro-entérite. Le terme est plus précis que celui d'intoxication alimentaire, qui englobe aussi l'ingestion de champignons vénéneux ou encore d'aliments contenant du plomb », précise le Dr Hugues Aumaitre, chef du Service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital de Perpignan.
Des infections aussi diverses que répandues
De nombreux aliments peuvent être à l'origine d'une TIAC : laitages périmés, crudités manipulées par des mains sales, viandes mal cuites, fruits de mer contaminés par un virus, conserves artisanales et/ou mal conservées, etc. Avec pour chaque cas de figure des agents pathogènes bien distincts, causant des symptômes plus ou moins graves. « Le plus souvent, cela se résume à des vomissements et des diarrhées aiguës qui surviennent très rapidement après l'ingestion de l'aliment contaminé, au bout d'à peine quelques heures, et qui ne durent pas bien longtemps, reprend l'infectiologue. Pour certaines toxi-infections, celles causées par exemple par des salmonelles, d'autres symptômes s'ajoutent : de la fièvre, des douleurs abdominales violentes, parfois du sang dans les selles. Ce sont généralement ces formes sévères que l'on voit arriver à l'hôpital. »
Combien de personnes ces toxi-infections alimentaires touchent-elles chaque année ? Difficile à dire, admet Nathalie Jourdan-Da Silva, médecin épidémiologiste à Santé publique France, responsable de la surveillance des infections d'origine alimentaire. « La plupart de ces infections ne sont pas collectives, elles concernent surtout des cas isolés qui sont difficiles à comptabiliser ». En 2017, l'établissement public avait tout de même tenté d'estimer le poids de toutes les infections d'origine alimentaire en France. Résultat : entre 1,28 et 2,23 millions de cas chaque année pour 200 à 350 décès.
Mais si l'on ne regarde que les TIAC, c'est-à-dire les toxi-infections alimentaires collectives, donc avec au moins deux personnes infectées par le même aliment, les données deviennent bien plus précises. Les TIAC étant depuis 1987 à déclaration obligatoire, les cas remontent jusqu'à Santé publique France qui les compile chaque année. En 2022 par exemple, 1924 TIAC ont été ainsi déclarées, affectant 16 763 personnes pour 17 décès. Ces données annuelles permettent également de repérer les agents pathogènes les plus fréquemment mis en cause ou bien d'identifier les principaux lieux d'infections (environ 30 % au sein des foyers, 40 % au restaurant et 30 % dans des structures collectives).
Remonter la piste des agents pathogènes
Mais au-delà d'obtenir ces informations, la déclaration d'une TIAC permet d'enclencher une véritable enquête. L'infectiologue Pauline Thill, en poste à l'époque au centre hospitalier de Tourcoing, a pu le constater elle-même, cette fois du point de vue du patient. « C'était en 2020, tout le service avait commandé pour le midi des tacos, se souvient l'infectiologue. La nuit qui a suivi, nous sommes une quinzaine à avoir eu les mêmes symptômes digestifs. Tout le monde s'en souvient encore, le lendemain, le service était déserté ! »
Dès le lendemain matin, un des médecins du service a donc prévenu l'ARS (Agence Régionale de Santé), comme la loi l'impose à tout professionnel de santé suspectant une TIAC. L'après-midi même, tous les internes et médecins touchés par l'infection recevaient un appel téléphonique de l'ARS. « La conversation a duré quelques minutes, le médecin au bout du fil essayait d'avoir le maximum d'informations sur les circonstances de la toxi-infection :  le restaurant concerné, l'horaire, les plats que nous avions commandés, les symptômes que nous avons eus... » raconte Pauline Thill.
Si le personnel hospitalier touché, se remettant rapidement sur pied, n'a ensuite plus eu de nouvelles de l'ARS, c'est un véritable travail d'investigation qui a eu lieu en coulisses. « Une fois l'enquête téléphonique effectuée, l'ARS transmet les informations à la Direction Départementale de la Protection des Populations (DDPP) qui peut continuer les investigations sur le terrain, par exemple dans le restaurant pour comprendre ce qui s'est passé, retracer l'origine des produits, si possible prélever des aliments pour analyse », explique Nathalie Jourdan-Da Silva. Une fois la piste remontée jusqu'à l'origine de la contamination, les conclusions de l'enquête repasseront par Santé publique France qui pourra alors transmettre des pistes d'action aux autorités compétentes : rappel d'un aliment, campagne d'information, désinfection voire fermeture d'un restaurant ou d'une usine...
Contre les TIAC : prévenir et réagir
« Il y a un gros travail effectué pour réagir rapidement et limiter au maximum le nombre de produits contaminés, mais le consommateur aussi peut agir pour limiter les risques de toxi-infection alimentaire, en particulier à la maison », ajoute Nathalie Jourdan-Da Silva. Des mesures d'hygiène de base, mais à ne pas négliger : bien se laver les mains avant de cuisiner, surtout après avoir touché des oeufs ou de la viande crue, respecter les dates limites de consommation, bien cuire à coeur volailles et steaks hachés, utiliser des planches à découper et des couteaux différents pour les viandes et les autres aliments, laver les fruits et légumes, respecter la chaîne du froid, etc.
Et si malgré tout vous développez les symptômes typiques d'une toxi-infection alimentaire, prenez votre mal en patience ! « C'est souvent assez fulgurant mais cela ne dure généralement pas bien longtemps, souligne Pauline Thill. Il faut juste bien s'hydrater et vérifier qu'il n'y a pas de fièvre. Par contre, si la température monte, que vous voyez du sang dans les selles ou les vomissements, alors il faut consulter rapidement un médecin. »
Mais quelle que soit l'importance des symptômes, si plusieurs personnes sont touchées, pensez à prévenir rapidement un médecin pour que des investigations puissent avoir lieu suite à l'envoi de la déclaration de TIAC à l'ARS. Chaque heure perdue augmente les risques que d'autres personnes soient à leur tour contaminées, avec parmi elles des profils (enfants, personnes âgées ou immunodéprimées…) plus sensibles aux effets potentiels d'une toxi-infection alimentaire.


Un grand merci aux docteurs Pauline THILL, Hugues AUMAITRE et Nathalie JOURDAN-DA SILVA pour leurs témoignages.


Ce reportage vous a été proposé par la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF). Retrouvez plus d'articles sur le site /fr/, onglet « Pour le grand public ».
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