Gazette de l'infectiologie: Le corps face aux microbes
Vendredi 06 Septembre 2024
Le corps face aux microbes
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Le corps face aux microbes
Au fil de millions d'années d'évolution, notre organisme a développé un vaste panel d'armes pour lutter contre les virus, bactéries et autres microbes susceptibles de s'attaquer à lui : c'est notre système immunitaire. Ce dernier est des plus complexes, et lorsqu'il déraille cela met en péril notre santé.
Champignons unicellulaires, parasites, virus, bactéries… Nombreux sont les microorganismes qui cherchent par tous les moyens à s'introduire dans notre corps, profitant de ce milieu stable et de notre machinerie cellulaire pour s'y reproduire et se propager. Une lutte permanente se joue sur le terrain de l'évolution entre ces microbes et notre organisme, ce dernier ayant développé une multitude de moyens de défense aussi complexes que différents pour s'adapter à toutes les situations : le système immunitaire.
La première ligne de défense de ce système est relativement simple. « La peau, les muqueuses, ainsi que les sécrétions qu'elles produisent – mucus nasal, larmes… – constituent une première barrière physique et chimique qui empêche les éléments extérieurs de pénétrer à l'intérieur du corps », rappelle le professeur Olivier Schwartz, qui dirige depuis plus de 20 ans l'unité Virus et Immunité de l'Institut Pasteur. C'est bien souvent lorsqu'une brèche s'ouvre dans cette barrière qu'une infection se produit. Par exemple une blessure, coupure ou brûlure au niveau de la peau constitue une voie d'entrée idéale pour un microorganisme pathogène.
L'immunité innée : polyvalente et rapide
Une fois l'intrus présent en nous, le système immunitaire à proprement parler se met en branle. « C'est ce que l'on appelle la réponse immunitaire innée, qui s'active immédiatement quel que soit l'agent pathogène, reprend le professeur Schwartz. Avec au centre de ce système : les globules blancs ». Également appelés leucocytes, ces cellules spécialisées produites dans la moelle osseuse et circulant dans le corps peuvent se classer en différents types : neutrophiles, monocytes, lymphocytes…
Certains libèrent des composés toxiques capables de détruire bactéries ou parasites, quand d'autres « ingèrent » littéralement les microbes ou les cellules infectées– on parle de phagocytose. Durant cette première bataille, plusieurs globules blancs émettent des signaux chimiques alertant le reste du système immunitaire de l'intrusion. Ces signaux provoquent alors la dilatation des vaisseaux sanguins autour de la zone infectée. « Cette vasodilatation permet aux cellules du système immunitaire de passer à travers la paroi des vaisseaux sanguins, quittant la circulation sanguine pour atteindre le tissu infecté. C'est ce qui explique pourquoi la zone autour d'une blessure devient rouge et gonflée ».
L'immunité acquise : spécifique et sur le long terme
Le système immunitaire ne se résume pas en une armée éliminant aveuglément les microbes. Certaines cellules identifient également avec précision l'agresseur pour pouvoir mobiliser par la suite d'autres systèmes de défense plus spécifiques : c'est l'immunité acquise. Pour cela, elles présentent à leur surface des fragments caractéristiques de l'agent pathogène tout juste détruit. Grâce à cette « carte d'identité » de l'agresseur, un type de globules blancs, les lymphocytes, vont pouvoir organiser une seconde attaque bien plus ciblée, traquant et détruisant la bactérie ou le virus responsable de l'infection. Les lymphocytes T cibleront ainsi les cellules infectées par l'agent infectieux, tandis que les lymphocytes B libéreront dans l'organisme des millions d'anticorps. Ces derniers s'attaqueront notamment aux microbes qui circulent en dehors des cellules, là aussi en les ciblant spécifiquement.
Mais surtout, une partie de ces lymphocytes T et B se transforment en cellules dites « mémoire ». Celles-ci resteront dans l'organisme pendant des années, voire des décennies, et pourront relancer rapidement une réponse immunitaire spécifique si le même microorganisme pathogène pénètre à nouveau dans l'organisme. « Contrairement à la réponse immunitaire innée qui se déclenche en quelques minutes et devient optimale en quelques heures, il faut plusieurs jours à plusieurs semaines pour avoir un pic de production de lymphocytes, indique Olivier Schwartz. Mais en cas de seconde infection, la réponse immunitaire pourra être beaucoup plus rapide grâce aux lymphocytes mémoires. C'est le principe de la vaccination : on injecte dans l'organisme des éléments inoffensifs – fragments de virus ou bactéries tuées – mais capables de générer des lymphocytes mémoires, qui seront prêts à déclencher une réponse immunitaire spécifique plus tard en cas d'infection. »
Un système évoluant dans le temps
Ce système immunitaire spécifique évolue donc tout au long de notre vie, au fil des nouvelles infections et vaccinations, chaque individu possédant sa propre bibliothèque de lymphocytes mémoire. Tout commence à la naissance, lorsque le nouveau-né ne peut compter que sur des anticorps maternels transmis lors de la grossesse puis de l'allaitement. Lors des premiers mois puis années de vie, chaque microbe constitue une agression encore inconnue à laquelle le système immunitaire doit apprendre à se défendre. D'où le grand nombre de maladies infantiles…
À l'autre extrémité du spectre de l'âge, les personnes âgées connaissent fréquemment une baisse d'efficacité du système immunitaire : c'est l'immunosénescence. Certains globules blancs sont moins nombreux, moins efficaces, rendant l'organisme plus sensible aux infections et nécessitant plusieurs rappels vaccinaux pour garantir une protection fiable.
L'immunité en berne
Mais le système immunitaire peut également se trouver diminué, voire même quasi-inopérant, au cours de la vie pour des raisons très diverses. « Il n'y a pas réellement de seuil pour définir précisément l'immunodépression, appelée aussi immunodéficience : cela peut être très grave ou au contraire plutôt léger, transitoire ou permanent, lié à une maladie ou non… » liste Alexandra Serris, infectiologue au Service de maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Necker. « Les causes elles aussi sont de nature très différente : certaines formes sont héréditaires, liées à une mutation génétique, quand d'autres s'acquièrent au cours de la vie, qu'il s'agisse d'une maladie comme le sida ou de l'effet d'un traitement. »
Les mécanismes physiologiques à l'origine de cette baisse de l'immunité sont logiquement tout aussi variés. Le virus du VIH par exemple détruit certains types de globules blancs, les lymphocytes CD4, qui sont essentiels à la coordination de la réponse immunitaire. Certains médicaments immunosuppresseurs – prescrits par exemple dans le cadre d'une greffe d'organe pour éviter que le système immunitaire ne s'attaque au greffon – perturbent la communication entre les cellules immunitaires ou bien empêchent leur multiplication.
Mais quelle que soit l'origine de l'immunodéficience, la conséquence reste globalement la même : l'organisme peine à lutter contre les infections les plus anodines. « Il faut alors faire particulièrement attention à toutes les situations à risque d'infection et se protéger par la vaccination » conseille Alexandra Serris, s'attaquant au passage au mythe selon lequel la vaccination serait dangereuse pour les patients immunodéprimés.
Quand le système déraille
Parfois, ce n'est pas une baisse mais au contraire une réponse immunitaire trop forte ou inappropriée qui devient préjudiciable. « Il existe normalement un mécanisme de tolérance pour que nous ne réagissions pas à n'importe quel élément étranger que l'on pourrait ingérer ou respirer, reprend l'infectiologue parisienne. Dans le cas d'une allergie, le système immunitaire va réagir de manière démesurée à un allergène, un élément habituellement toléré par l'organisme ». Une surréaction pouvant prendre des proportions dramatiques, allant jusqu'au choc anaphylactique potentiellement mortel.
Il arrive également que le système immunitaire se retourne contre les propres cellules de l'organisme : c'est le cas des maladies auto-immunes. Là aussi, des causes très diverses – facteur génétique, virus, polluants… – provoquent des résultats qui le sont tout autant : destruction de certaines cellules seulement, comme celles sécrétant l'insuline pour le diabète de type 1, ou touchant plusieurs organes comme dans un lupus.
« Le système immunitaire est incroyablement complexe et il nous reste encore beaucoup à comprendre, conclut le professeur Olivier Schwartz. Les recherches se penchent aujourd'hui sur les mécanismes fins au niveau cellulaire, ce qui a permis de découvrir énormément de sous-types de cellules immunitaires ». Une meilleure compréhension qui aide non seulement la recherche sur les maladies du système immunitaire, mais aussi celle sur les vaccins, l'une des plus importantes avancées médicales de l'Histoire.
Un grand merci au docteurs Alexandra SERRIS et au Pr Olivier SCHWARTZ pour leurs témoignages.
Ce reportage vous a été proposé par la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF).
Retrouvez plus d'articles sur le site /fr/, onglet « Pour le grand public ».
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Le corps face aux microbes
Au fil de millions d'années d'évolution, notre organisme a développé un vaste panel d'armes pour lutter contre les virus, bactéries et autres microbes susceptibles de s'attaquer à lui : c'est notre système immunitaire. Ce dernier est des plus complexes, et lorsqu'il déraille cela met en péril notre santé.
Champignons unicellulaires, parasites, virus, bactéries… Nombreux sont les microorganismes qui cherchent par tous les moyens à s'introduire dans notre corps, profitant de ce milieu stable et de notre machinerie cellulaire pour s'y reproduire et se propager. Une lutte permanente se joue sur le terrain de l'évolution entre ces microbes et notre organisme, ce dernier ayant développé une multitude de moyens de défense aussi complexes que différents pour s'adapter à toutes les situations : le système immunitaire.
La première ligne de défense de ce système est relativement simple. « La peau, les muqueuses, ainsi que les sécrétions qu'elles produisent – mucus nasal, larmes… – constituent une première barrière physique et chimique qui empêche les éléments extérieurs de pénétrer à l'intérieur du corps », rappelle le professeur Olivier Schwartz, qui dirige depuis plus de 20 ans l'unité Virus et Immunité de l'Institut Pasteur. C'est bien souvent lorsqu'une brèche s'ouvre dans cette barrière qu'une infection se produit. Par exemple une blessure, coupure ou brûlure au niveau de la peau constitue une voie d'entrée idéale pour un microorganisme pathogène.
L'immunité innée : polyvalente et rapide
Une fois l'intrus présent en nous, le système immunitaire à proprement parler se met en branle. « C'est ce que l'on appelle la réponse immunitaire innée, qui s'active immédiatement quel que soit l'agent pathogène, reprend le professeur Schwartz. Avec au centre de ce système : les globules blancs ». Également appelés leucocytes, ces cellules spécialisées produites dans la moelle osseuse et circulant dans le corps peuvent se classer en différents types : neutrophiles, monocytes, lymphocytes…
Certains libèrent des composés toxiques capables de détruire bactéries ou parasites, quand d'autres « ingèrent » littéralement les microbes ou les cellules infectées– on parle de phagocytose. Durant cette première bataille, plusieurs globules blancs émettent des signaux chimiques alertant le reste du système immunitaire de l'intrusion. Ces signaux provoquent alors la dilatation des vaisseaux sanguins autour de la zone infectée. « Cette vasodilatation permet aux cellules du système immunitaire de passer à travers la paroi des vaisseaux sanguins, quittant la circulation sanguine pour atteindre le tissu infecté. C'est ce qui explique pourquoi la zone autour d'une blessure devient rouge et gonflée ».
L'immunité acquise : spécifique et sur le long terme
Le système immunitaire ne se résume pas en une armée éliminant aveuglément les microbes. Certaines cellules identifient également avec précision l'agresseur pour pouvoir mobiliser par la suite d'autres systèmes de défense plus spécifiques : c'est l'immunité acquise. Pour cela, elles présentent à leur surface des fragments caractéristiques de l'agent pathogène tout juste détruit. Grâce à cette « carte d'identité » de l'agresseur, un type de globules blancs, les lymphocytes, vont pouvoir organiser une seconde attaque bien plus ciblée, traquant et détruisant la bactérie ou le virus responsable de l'infection. Les lymphocytes T cibleront ainsi les cellules infectées par l'agent infectieux, tandis que les lymphocytes B libéreront dans l'organisme des millions d'anticorps. Ces derniers s'attaqueront notamment aux microbes qui circulent en dehors des cellules, là aussi en les ciblant spécifiquement.
Mais surtout, une partie de ces lymphocytes T et B se transforment en cellules dites « mémoire ». Celles-ci resteront dans l'organisme pendant des années, voire des décennies, et pourront relancer rapidement une réponse immunitaire spécifique si le même microorganisme pathogène pénètre à nouveau dans l'organisme. « Contrairement à la réponse immunitaire innée qui se déclenche en quelques minutes et devient optimale en quelques heures, il faut plusieurs jours à plusieurs semaines pour avoir un pic de production de lymphocytes, indique Olivier Schwartz. Mais en cas de seconde infection, la réponse immunitaire pourra être beaucoup plus rapide grâce aux lymphocytes mémoires. C'est le principe de la vaccination : on injecte dans l'organisme des éléments inoffensifs – fragments de virus ou bactéries tuées – mais capables de générer des lymphocytes mémoires, qui seront prêts à déclencher une réponse immunitaire spécifique plus tard en cas d'infection. »
Un système évoluant dans le temps
Ce système immunitaire spécifique évolue donc tout au long de notre vie, au fil des nouvelles infections et vaccinations, chaque individu possédant sa propre bibliothèque de lymphocytes mémoire. Tout commence à la naissance, lorsque le nouveau-né ne peut compter que sur des anticorps maternels transmis lors de la grossesse puis de l'allaitement. Lors des premiers mois puis années de vie, chaque microbe constitue une agression encore inconnue à laquelle le système immunitaire doit apprendre à se défendre. D'où le grand nombre de maladies infantiles…
À l'autre extrémité du spectre de l'âge, les personnes âgées connaissent fréquemment une baisse d'efficacité du système immunitaire : c'est l'immunosénescence. Certains globules blancs sont moins nombreux, moins efficaces, rendant l'organisme plus sensible aux infections et nécessitant plusieurs rappels vaccinaux pour garantir une protection fiable.
L'immunité en berne
Mais le système immunitaire peut également se trouver diminué, voire même quasi-inopérant, au cours de la vie pour des raisons très diverses. « Il n'y a pas réellement de seuil pour définir précisément l'immunodépression, appelée aussi immunodéficience : cela peut être très grave ou au contraire plutôt léger, transitoire ou permanent, lié à une maladie ou non… » liste Alexandra Serris, infectiologue au Service de maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Necker. « Les causes elles aussi sont de nature très différente : certaines formes sont héréditaires, liées à une mutation génétique, quand d'autres s'acquièrent au cours de la vie, qu'il s'agisse d'une maladie comme le sida ou de l'effet d'un traitement. »
Les mécanismes physiologiques à l'origine de cette baisse de l'immunité sont logiquement tout aussi variés. Le virus du VIH par exemple détruit certains types de globules blancs, les lymphocytes CD4, qui sont essentiels à la coordination de la réponse immunitaire. Certains médicaments immunosuppresseurs – prescrits par exemple dans le cadre d'une greffe d'organe pour éviter que le système immunitaire ne s'attaque au greffon – perturbent la communication entre les cellules immunitaires ou bien empêchent leur multiplication.
Mais quelle que soit l'origine de l'immunodéficience, la conséquence reste globalement la même : l'organisme peine à lutter contre les infections les plus anodines. « Il faut alors faire particulièrement attention à toutes les situations à risque d'infection et se protéger par la vaccination » conseille Alexandra Serris, s'attaquant au passage au mythe selon lequel la vaccination serait dangereuse pour les patients immunodéprimés.
Quand le système déraille
Parfois, ce n'est pas une baisse mais au contraire une réponse immunitaire trop forte ou inappropriée qui devient préjudiciable. « Il existe normalement un mécanisme de tolérance pour que nous ne réagissions pas à n'importe quel élément étranger que l'on pourrait ingérer ou respirer, reprend l'infectiologue parisienne. Dans le cas d'une allergie, le système immunitaire va réagir de manière démesurée à un allergène, un élément habituellement toléré par l'organisme ». Une surréaction pouvant prendre des proportions dramatiques, allant jusqu'au choc anaphylactique potentiellement mortel.
Il arrive également que le système immunitaire se retourne contre les propres cellules de l'organisme : c'est le cas des maladies auto-immunes. Là aussi, des causes très diverses – facteur génétique, virus, polluants… – provoquent des résultats qui le sont tout autant : destruction de certaines cellules seulement, comme celles sécrétant l'insuline pour le diabète de type 1, ou touchant plusieurs organes comme dans un lupus.
« Le système immunitaire est incroyablement complexe et il nous reste encore beaucoup à comprendre, conclut le professeur Olivier Schwartz. Les recherches se penchent aujourd'hui sur les mécanismes fins au niveau cellulaire, ce qui a permis de découvrir énormément de sous-types de cellules immunitaires ». Une meilleure compréhension qui aide non seulement la recherche sur les maladies du système immunitaire, mais aussi celle sur les vaccins, l'une des plus importantes avancées médicales de l'Histoire.
Un grand merci au docteurs Alexandra SERRIS et au Pr Olivier SCHWARTZ pour leurs témoignages.
Ce reportage vous a été proposé par la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF).
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