Gazette de l'Infectiologie: L'évolution technique au service du diagnostic des maladies infectieuses
Jeudi 08 Décembre 2022
L'évolution technique au service du diagnostic des maladies infectieuses
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Ces dernières décennies, l'étude des agents infectieux – virus, bactéries, champignons microscopiques et parasites – s'est transformée en profondeur avec l'apparition de nouveaux outils permettant un diagnostic toujours plus précis, sensible, spécifique et rapide.
En près de 40 ans de carrière, le professeur Hervé Pelloux a vu son domaine d'expertise, la parasitologie et mycologie, évoluer par petites touches, mais aussi par grands bonds. « Presque toutes les techniques ont changé, les outils de coloration, la sérologie, les mises en culture, l'identification des agents pathogènes… » liste le professeur, aujourd'hui directeur du Laboratoire de Biologie Médicale du CHU Grenoble Alpes. « Rien que sur la partie technique il y a eu énormément de modifications, et en particulier beaucoup d'automatisation : les boites de Petri sur lesquelles nous faisons nos cultures par exemple ne sont plus mises à la main dans des étuves et suivies quotidiennement. Il existe désormais des étuves dites intelligentes avec des caméras qui nous avertissent quand les cultures commencent à pousser. Cela offre plus de traçabilité mais aussi plus de sensibilité dans l'identification des pathogènes. »
Mais pour le parasitologue, l'évolution la plus flagrante est à chercher du côté de la biologie moléculaire. Autrement dit : l'ADN, avec des techniques comme la PCR permettant d'amplifier puis identifier des séquences génétiques pour remonter jusqu'à leur microscopique propriétaire. « Au lieu de chercher visuellement un parasite sous un microscope optique, on cherche son ADN » résume simplement Hervé Pelloux.
« La biologie moléculaire a connu un véritable essor dans les années 1980-1990 », rappelle le docteur Stéphane Marot, virologue à l'hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière. « Les virologues se sont rapidement emparés de ces techniques au début des années 2000 dans le cadre de l'approche diagnostique, suivis par les autres spécialités de microbiologie. En virologie, cela nous permet de détecter des charges virales même très faibles, mais surtout cela fait gagner énormément de temps. »
Un point crucial pour poser un diagnostic dans les meilleurs délais, également mis en avant par le bactériologiste Vincent Cattoir, professeur au CHU de Rennes. « Les outils moléculaires sont particulièrement intéressants pour des bactéries incultivables ou qui mettent beaucoup de temps à pousser. C'est par exemple le cas de la du bacille de la tuberculose : il faut compter plusieurs semaines pour mettre en culture l'agent infectieux, alors que l'on peut détecter son ADN – et donc poser un diagnostic – en l'espace de quelques heures. » Le bactériologiste rappelle également tout l'intérêt de ces techniques ne nécessitant pas de mise en culture : lorsqu'une infection est déjà traitée par des antibiotiques par exemple, il n'y a théoriquement plus de bactéries viables à faire se multiplier, mais leur ADN, lui, est toujours présent.
« Plus récemment, nous avons aussi vu arriver les techniques de séquençage à haut-débit, qui permettent entre autres de recenser l'ensemble des espèces bactériennes présentes dans un échantillon » ajoute Vincent Cattoir. De quoi apporter une masse d'information jusqu'ici inaccessible, particulièrement cruciale dans le cas de pathologies complexes. Ces techniques sont également utilisées en virologie, surtout en seconde intention explique Stéphane Marot. « Lorsque l'on a cherché – sans succès – la présence des principaux pathogènes pouvant correspondre aux symptômes donnés d'un patient, alors on peut passer à ces techniques à plus large spectre, sans idée préconçue de ce que l'on recherche. Ce séquençage à haut-débit va également présenter un intérêt plus général de santé publique, en permettant de recenser tous les virus ou souches qui circulent à un moment donné. »
L'idée d'élargir le champ des recherches avant de poser un diagnostic se retrouve également dans une autre innovation de plus en plus fréquemment utilisée : les tests syndromiques. Également appelés panels, ces outils permettent de détecter via un test unique les principaux pathogènes responsables d'un syndrome donné : diarrhée, méningite, infection respiratoire, etc. « C'est un gain de temps indéniable de pouvoir tester d'un seul coup plusieurs virus, bactéries ou champignons », reconnait le bactériologiste Vincent Cattoir. « Par contre, ces panels représentent un surcoût non négligeable. »
Outre l'aspect financier, le professeur Hervé Pelloux note également d'autres écueils liés à ces tests syndromiques. « Cela empêche parfois de réfléchir : j'ai un symptôme, j'utilise le panel correspondant, sans me poser de questions. Si par malheur le pathogène en cause n'est pas testé par ce panel, ou pire si ce dernier révèle la présence d'un pathogène qui n'est pourtant pas la cause de la maladie, cela peut entraîner une errance diagnostique. »
Enfin, ces dernières années ont vu se populariser à grande échelle le concept de « Point Of Care Testing », des tests au lit du patient. « C'est ce que l'on appelle aussi de la biologie délocalisée : au lieu d'avoir des examens réalisés dans un laboratoire central, les tests, par exemple une PCR simplifiée, ont lieu directement là où se trouve le patient, avec à la clef un gain de temps précieux » explique le virologue Stéphane Marot. « Ces outils ont commencé à se démocratiser en microbiologie dans le courant des années 2010, mais la crise liée au Covid-19 a poussé tout le monde à s'y mettre, les laboratoires et les services d'urgence ayant besoin de diagnostics très rapides. »
Biologie délocalisée, séquençage à haut-débit, automatisation, test syndromiques… Ces différentes évolutions ont apporté au diagnostic des agents infectieux plus de rapidité et d'efficacité. Mais ces outils toujours plus complexes s'avèrent aussi bien souvent plus onéreux, constate Hervé Pelloux. « On observe une évolution permanente depuis 30 ans, mais qui arrive aujourd'hui à une sorte de plateau financier : jusqu'où peut-on aller dans l'arsenal diagnostic déployé, en considérant le coût que cela représente ? C'est une question qui ne se posait pas il y a 30 ans, mais qui va devenir de plus en plus présente ces prochaines années, avec un hôpital public qui a gravement souffert de la crise sanitaire et qui n'a plus les moyens de ses objectifs ».
Pour Stéphane Marot, la crise sanitaire a également mis en lumière la nécessité de ne pas se reposer uniquement sur les nouveaux outils de la microbiologie. « Lorsqu'une maladie émergente apparaît, il n'y a logiquement pas encore d'outils diagnostics développés par les industriels. Le Covid-19 nous a montré qu'il était primordial d'avoir des laboratoires et du personnel qui sait encore utiliser d'anciennes techniques. On a par exemple vu réapparaitre les tests antigéniques, qui étaient très utilisés dans les années 1990 avant d'être peu à peu occultés par la biologie moléculaire. Pour résumer, il faut bien sûr évoluer avec les innovations technologiques, mais sans que cela se traduise par une perte de connaissances ou de compétences. » Les mises en culture dans des boites de Petri et les observations au microscope, fondements historiques de la microbiologie, ont donc encore de beaux jours devant elles.
Ce reportage vous a été proposé par la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF). Retrouvez plus d'articles sur le site infectiologie.com onglet « Pour le grand public ».
Un grand merci aux docteurs Hervé PELLOUX, Vincent CATTOIR et Stéphane MAROT pour leurs témoignages.
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Ces dernières décennies, l'étude des agents infectieux – virus, bactéries, champignons microscopiques et parasites – s'est transformée en profondeur avec l'apparition de nouveaux outils permettant un diagnostic toujours plus précis, sensible, spécifique et rapide.
En près de 40 ans de carrière, le professeur Hervé Pelloux a vu son domaine d'expertise, la parasitologie et mycologie, évoluer par petites touches, mais aussi par grands bonds. « Presque toutes les techniques ont changé, les outils de coloration, la sérologie, les mises en culture, l'identification des agents pathogènes… » liste le professeur, aujourd'hui directeur du Laboratoire de Biologie Médicale du CHU Grenoble Alpes. « Rien que sur la partie technique il y a eu énormément de modifications, et en particulier beaucoup d'automatisation : les boites de Petri sur lesquelles nous faisons nos cultures par exemple ne sont plus mises à la main dans des étuves et suivies quotidiennement. Il existe désormais des étuves dites intelligentes avec des caméras qui nous avertissent quand les cultures commencent à pousser. Cela offre plus de traçabilité mais aussi plus de sensibilité dans l'identification des pathogènes. »
Mais pour le parasitologue, l'évolution la plus flagrante est à chercher du côté de la biologie moléculaire. Autrement dit : l'ADN, avec des techniques comme la PCR permettant d'amplifier puis identifier des séquences génétiques pour remonter jusqu'à leur microscopique propriétaire. « Au lieu de chercher visuellement un parasite sous un microscope optique, on cherche son ADN » résume simplement Hervé Pelloux.
« La biologie moléculaire a connu un véritable essor dans les années 1980-1990 », rappelle le docteur Stéphane Marot, virologue à l'hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière. « Les virologues se sont rapidement emparés de ces techniques au début des années 2000 dans le cadre de l'approche diagnostique, suivis par les autres spécialités de microbiologie. En virologie, cela nous permet de détecter des charges virales même très faibles, mais surtout cela fait gagner énormément de temps. »
Un point crucial pour poser un diagnostic dans les meilleurs délais, également mis en avant par le bactériologiste Vincent Cattoir, professeur au CHU de Rennes. « Les outils moléculaires sont particulièrement intéressants pour des bactéries incultivables ou qui mettent beaucoup de temps à pousser. C'est par exemple le cas de la du bacille de la tuberculose : il faut compter plusieurs semaines pour mettre en culture l'agent infectieux, alors que l'on peut détecter son ADN – et donc poser un diagnostic – en l'espace de quelques heures. » Le bactériologiste rappelle également tout l'intérêt de ces techniques ne nécessitant pas de mise en culture : lorsqu'une infection est déjà traitée par des antibiotiques par exemple, il n'y a théoriquement plus de bactéries viables à faire se multiplier, mais leur ADN, lui, est toujours présent.
« Plus récemment, nous avons aussi vu arriver les techniques de séquençage à haut-débit, qui permettent entre autres de recenser l'ensemble des espèces bactériennes présentes dans un échantillon » ajoute Vincent Cattoir. De quoi apporter une masse d'information jusqu'ici inaccessible, particulièrement cruciale dans le cas de pathologies complexes. Ces techniques sont également utilisées en virologie, surtout en seconde intention explique Stéphane Marot. « Lorsque l'on a cherché – sans succès – la présence des principaux pathogènes pouvant correspondre aux symptômes donnés d'un patient, alors on peut passer à ces techniques à plus large spectre, sans idée préconçue de ce que l'on recherche. Ce séquençage à haut-débit va également présenter un intérêt plus général de santé publique, en permettant de recenser tous les virus ou souches qui circulent à un moment donné. »
L'idée d'élargir le champ des recherches avant de poser un diagnostic se retrouve également dans une autre innovation de plus en plus fréquemment utilisée : les tests syndromiques. Également appelés panels, ces outils permettent de détecter via un test unique les principaux pathogènes responsables d'un syndrome donné : diarrhée, méningite, infection respiratoire, etc. « C'est un gain de temps indéniable de pouvoir tester d'un seul coup plusieurs virus, bactéries ou champignons », reconnait le bactériologiste Vincent Cattoir. « Par contre, ces panels représentent un surcoût non négligeable. »
Outre l'aspect financier, le professeur Hervé Pelloux note également d'autres écueils liés à ces tests syndromiques. « Cela empêche parfois de réfléchir : j'ai un symptôme, j'utilise le panel correspondant, sans me poser de questions. Si par malheur le pathogène en cause n'est pas testé par ce panel, ou pire si ce dernier révèle la présence d'un pathogène qui n'est pourtant pas la cause de la maladie, cela peut entraîner une errance diagnostique. »
Enfin, ces dernières années ont vu se populariser à grande échelle le concept de « Point Of Care Testing », des tests au lit du patient. « C'est ce que l'on appelle aussi de la biologie délocalisée : au lieu d'avoir des examens réalisés dans un laboratoire central, les tests, par exemple une PCR simplifiée, ont lieu directement là où se trouve le patient, avec à la clef un gain de temps précieux » explique le virologue Stéphane Marot. « Ces outils ont commencé à se démocratiser en microbiologie dans le courant des années 2010, mais la crise liée au Covid-19 a poussé tout le monde à s'y mettre, les laboratoires et les services d'urgence ayant besoin de diagnostics très rapides. »
Biologie délocalisée, séquençage à haut-débit, automatisation, test syndromiques… Ces différentes évolutions ont apporté au diagnostic des agents infectieux plus de rapidité et d'efficacité. Mais ces outils toujours plus complexes s'avèrent aussi bien souvent plus onéreux, constate Hervé Pelloux. « On observe une évolution permanente depuis 30 ans, mais qui arrive aujourd'hui à une sorte de plateau financier : jusqu'où peut-on aller dans l'arsenal diagnostic déployé, en considérant le coût que cela représente ? C'est une question qui ne se posait pas il y a 30 ans, mais qui va devenir de plus en plus présente ces prochaines années, avec un hôpital public qui a gravement souffert de la crise sanitaire et qui n'a plus les moyens de ses objectifs ».
Pour Stéphane Marot, la crise sanitaire a également mis en lumière la nécessité de ne pas se reposer uniquement sur les nouveaux outils de la microbiologie. « Lorsqu'une maladie émergente apparaît, il n'y a logiquement pas encore d'outils diagnostics développés par les industriels. Le Covid-19 nous a montré qu'il était primordial d'avoir des laboratoires et du personnel qui sait encore utiliser d'anciennes techniques. On a par exemple vu réapparaitre les tests antigéniques, qui étaient très utilisés dans les années 1990 avant d'être peu à peu occultés par la biologie moléculaire. Pour résumer, il faut bien sûr évoluer avec les innovations technologiques, mais sans que cela se traduise par une perte de connaissances ou de compétences. » Les mises en culture dans des boites de Petri et les observations au microscope, fondements historiques de la microbiologie, ont donc encore de beaux jours devant elles.
Ce reportage vous a été proposé par la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF). Retrouvez plus d'articles sur le site infectiologie.com onglet « Pour le grand public ».
Un grand merci aux docteurs Hervé PELLOUX, Vincent CATTOIR et Stéphane MAROT pour leurs témoignages.