Gazette de l'Infectiologie: Immunodépression: un risque d‘infections à répétition
Vendredi 07 Février 2025
Immunodépression: un risque d‘infections à répétition
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À cause d'une maladie, d'un traitement ou d'une greffe, 300 000 personnes en France vivent avec un système immunitaire défaillant. Si Covid, coqueluche et autres infections bactériennes s'avèrent bénignes pour le plus grand nombre, elles représentent un risque sérieux pour ces patients immunodéprimé·es. Ces dernier·es occupent d'ailleurs 20 % des lits en réanimation. Alors, que risque-t-on en cas d'immunodépression ? et quelles précautions prendre ?
L'agence de biomédecine mène donc une batterie de tests sur le donneur en amont des transplantations : VIH, hépatites B et C, toxoplasmose (parasite transmis par les chats), cytomégalovirus ou CMV (responsable de troubles du développement chez le foetus), etc. Or, les résultats arrivant parfois après la greffe. « Dans les trois à six mois qui suivent la transplantation, nous avons des procédures, qu'il s'agisse de médicaments ou d'un suivi virologique, pour empêcher ou détecter rapidement une transmission potentielle d'infection par le donneur, ou une réactivation d'infection déjà présente chez le receveur », précise la Dre Scemla, qui fait partie du service de néphrologie-transplantation rénale adultes de son hôpital. Les premiers mois étant les plus à risque de rejet, les traitements immunosuppresseurs sont au plus haut et le système immunitaire au plus bas. « Les principales infections des immunodéprimés sont celles de M. et Mme Tout le monde, mais elles sont plus fréquentes et plus sévères. Un greffé rénal, par exemple, fera avant tout des infections du rein, ou pyélonéphrites, et des infections respiratoires. Outre ces infections dites communautaires, il fera à peu près 20 % des infections dites opportunistes, c'est-à-dire dues à des pathogènes qu'une personne avec un système immunitaire sain n'attraperait pas, ou bien sous une forme plus bénigne. Les infections opportunistes les plus fréquentes sont virales, comme le cytomégalovirus ou le zona », ajoute la néphrologue.
Le fragile équilibre de la balance bénéfice-risque, oscillant entre rejet de la greffe et infection grave, repose donc entre les mains du médecin : charge à lui d'adapter le traitement au fil du temps ; car après une greffe d'organe, il faut prendre des immunosuppresseurs à vie. Cependant, la maladie initiale ou d'autres antécédents peuvent se cumuler à cette greffe et aggraver l'immunodépression.
Les patients les plus fragiles ? Ceux pour lesquels il faut remplacer les cellules de la moelle osseuse par celle d'un donneur sain ; on parle alors d'allogreffe de cellules hématopoïétiques. « Il ne s'agit pas là de mettre des immunosuppresseurs pour éviter le rejet, mais de changer tout le système immunitaire et de prévenir une attaque des différents organes par le système immunitaire greffé, ce qu'on appelle la réaction du greffon contre l'hôte. De plus, il faut du temps au nouveau système pour se mettre en place », précise l'hématologue, responsable du diplôme interuniversitaire (DIU) Gestion des infections et soins complémentaires en onco-hématologie (GISCOH). Provisoirement dépourvu de défenses immunitaires, l'allogreffé·e est initialement hospitalisé·e en chambre stérile à l'hôpital ; une mesure pas toujours suffisante. « Initialement, le risque va être bactérien. Dans la majorité des cas, ces infections démarrent à partir des propres germes du patient, s'il y a des microlésions au niveau du tube digestif, dues à une chimiothérapie par exemple, ou au niveau de la barrière cutanée, au point de départ du cathéter le plus souvent. Et puis, il y a le risque fongique, si la personne a inhalé des spores de champignon avant son hospitalisation. La première des infections fongiques invasives est l'aspergillose. Enfin, il existe un risque viral, que ce soit par acquisition de virus (comme la grippe, le VRS, le COVID, etc.) ou par réactivation de virus que le patient porte en lui », renchérit la Dre Robin. Une allogreffe cumule ainsi tous les risques d'infections.
Par conséquent, l'immunodépression implique des précautions pour éviter toute contamination par des virus, bactéries, parasites ou champignons.
En revanche, certaines précautions supplémentaires s'adressent aux immunodéprimé·es : porter un masque et se laver les mains pour changer la litière du chat, soigner des animaux, jardiner, bricoler dans les atmosphères empoussiérées, faire des travaux, déménager ou encore couper du bois. De plus, abstenez-vous « de marcher pieds nus en dehors de chez vous. Évitez aussi les environnements poussiéreux ou avec des moisissures. Les traces noires sur les murs et les joints sont en fait des spores de champignons, facilement inhalables », ajoute le Pr Faure, également membre du Centre d'infection et d'immunité de Lille (CIIL).
Pour l'alimentation, les recommandations équivalent à celles destinées aux femmes enceintes : laver les fruits et légumes, même s'ils proviennent du jardin, et limiter les fromages non pasteurisés ainsi que les viandes et poissons crus. « Attention à la friture, elle cuit l'extérieur des aliments et laisse souvent le centre non cuit lorsqu'elle est insuffisante. La cuisson au four est donc à privilégier », précise l'infectiologue. En France, et sauf communication des autorités, boire l'eau du robinet n'est pas un problème car elle est chlorée pour éviter les infections. Enfin côté loisirs, mieux vaut éviter les spas et saunas, car la bactérie responsable de la légionellose aime les eaux tièdes. Pour les voyages, il existe des consultations dédiées.
Enfin concernant la vaccination, les vaccins vivants atténués sont contre-indiqués aux personnes immunodéprimées, et les vaccins inactivés sont moins efficaces. C'est pour cela que le vaccin contre le Covid est recommandé deux fois par an, de même que celui contre la grippe. Les gens vivant avec une personne immunodéprimée ont aussi un rôle à jouer : vaccins, règles d'hygiène à la maison et gestes barrières à l'extérieur, voilà le meilleur moyen de ne pas contaminer votre proche immunodéprimé.
Présenter une immunodépression pose donc de nombreux défis. Cependant, nos trois médecins insistent : en suivant les précautions d'usage, la plupart des patient·es vivent très bien avec.
Un grand merci au docteurs Anne SCEMLA et Christine ROBIN, ainsi qu'au professeur Emmanuel FAURE pour leurs témoignages.
Ce reportage vous a été proposé par la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF).
Retrouvez plus d'articles sur le site infectiologie.com onglet « Pour le grand public ».
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À cause d'une maladie, d'un traitement ou d'une greffe, 300 000 personnes en France vivent avec un système immunitaire défaillant. Si Covid, coqueluche et autres infections bactériennes s'avèrent bénignes pour le plus grand nombre, elles représentent un risque sérieux pour ces patients immunodéprimé·es. Ces dernier·es occupent d'ailleurs 20 % des lits en réanimation. Alors, que risque-t-on en cas d'immunodépression ? et quelles précautions prendre ?
Greffe, la nécessaire mise à plat du système immunitaire
Rein, poumons, coeur, 66 000 Français·es vivent avec un organe greffé. « Si on vous met un organe qui vous est étranger, vous allez le rejeter, car votre système immunitaire va le reconnaître comme étant du non-soi et va l'attaquer », explique la Dre Anne Scemla, néphrologue à l'hôpital Necker-Enfants Malades de Paris. Pour éviter ce rejet, les patient·es reçoivent un cocktail de médicaments appelés immunosuppresseurs. Corticoïdes, tacrolimus, ciclosporine ou mycophénolate mofétil, entre autres, ciblent les différents maillons du système immunitaire pour l'affaiblir, laissant l'organisme plus ou moins désarmé face aux infections.L'agence de biomédecine mène donc une batterie de tests sur le donneur en amont des transplantations : VIH, hépatites B et C, toxoplasmose (parasite transmis par les chats), cytomégalovirus ou CMV (responsable de troubles du développement chez le foetus), etc. Or, les résultats arrivant parfois après la greffe. « Dans les trois à six mois qui suivent la transplantation, nous avons des procédures, qu'il s'agisse de médicaments ou d'un suivi virologique, pour empêcher ou détecter rapidement une transmission potentielle d'infection par le donneur, ou une réactivation d'infection déjà présente chez le receveur », précise la Dre Scemla, qui fait partie du service de néphrologie-transplantation rénale adultes de son hôpital. Les premiers mois étant les plus à risque de rejet, les traitements immunosuppresseurs sont au plus haut et le système immunitaire au plus bas. « Les principales infections des immunodéprimés sont celles de M. et Mme Tout le monde, mais elles sont plus fréquentes et plus sévères. Un greffé rénal, par exemple, fera avant tout des infections du rein, ou pyélonéphrites, et des infections respiratoires. Outre ces infections dites communautaires, il fera à peu près 20 % des infections dites opportunistes, c'est-à-dire dues à des pathogènes qu'une personne avec un système immunitaire sain n'attraperait pas, ou bien sous une forme plus bénigne. Les infections opportunistes les plus fréquentes sont virales, comme le cytomégalovirus ou le zona », ajoute la néphrologue.
Le fragile équilibre de la balance bénéfice-risque, oscillant entre rejet de la greffe et infection grave, repose donc entre les mains du médecin : charge à lui d'adapter le traitement au fil du temps ; car après une greffe d'organe, il faut prendre des immunosuppresseurs à vie. Cependant, la maladie initiale ou d'autres antécédents peuvent se cumuler à cette greffe et aggraver l'immunodépression.
Maladie du sang, maladie de l'immunité
À partir de cellules souches, la moelle osseuse fabrique les cellules sanguines et immunitaires, et notamment tous les globules blancs, ou leucocytes. Les maladies et cancers affectant ces cellules, tels les lymphomes et les leucémies, fragilisent le système immunitaire. Et le remède peut lui aussi affecter le système immunitaire, comme l'explique la Dre Christine Robin, hématologue à l'hôpital Henri Mondor de Créteil : « si je prends l'exemple de la leucémie aiguë, la moelle osseuse du patient est envahie de blastes, des cellules immatures, et il n'y a alors plus de place pour fabriquer de « bonnes » cellules immunitaires. La maladie en elle-même provoque donc une immunosuppression. Et pour traiter la leucémie, on donne une chimiothérapie intensive, qui elle aussi diminue l'immunité. L'immunodépression est donc à la fois liée à la maladie et au traitement. »Les patients les plus fragiles ? Ceux pour lesquels il faut remplacer les cellules de la moelle osseuse par celle d'un donneur sain ; on parle alors d'allogreffe de cellules hématopoïétiques. « Il ne s'agit pas là de mettre des immunosuppresseurs pour éviter le rejet, mais de changer tout le système immunitaire et de prévenir une attaque des différents organes par le système immunitaire greffé, ce qu'on appelle la réaction du greffon contre l'hôte. De plus, il faut du temps au nouveau système pour se mettre en place », précise l'hématologue, responsable du diplôme interuniversitaire (DIU) Gestion des infections et soins complémentaires en onco-hématologie (GISCOH). Provisoirement dépourvu de défenses immunitaires, l'allogreffé·e est initialement hospitalisé·e en chambre stérile à l'hôpital ; une mesure pas toujours suffisante. « Initialement, le risque va être bactérien. Dans la majorité des cas, ces infections démarrent à partir des propres germes du patient, s'il y a des microlésions au niveau du tube digestif, dues à une chimiothérapie par exemple, ou au niveau de la barrière cutanée, au point de départ du cathéter le plus souvent. Et puis, il y a le risque fongique, si la personne a inhalé des spores de champignon avant son hospitalisation. La première des infections fongiques invasives est l'aspergillose. Enfin, il existe un risque viral, que ce soit par acquisition de virus (comme la grippe, le VRS, le COVID, etc.) ou par réactivation de virus que le patient porte en lui », renchérit la Dre Robin. Une allogreffe cumule ainsi tous les risques d'infections.
Par conséquent, l'immunodépression implique des précautions pour éviter toute contamination par des virus, bactéries, parasites ou champignons.
Immunodépression, les précautions à prendre
Les micro-organismes pénètrent principalement le corps via les organes en interface avec le milieu extérieur : les voies aériennes (virus comme la grippe et spores de champignons circulant dans l'air), la bouche (au contact des doigts contaminés), le tube digestif (parasites ou bactéries dans les aliments ou boissons), la peau (en cas de coupure ou blessure), mais aussi le vagin et l'anus. Se protéger relève ainsi avant tout du bon sens, précise le Pr Emmanuel Faure, infectiologue à l'hôpital Huriez-CHU de Lille : « on se lave les mains après tout contact humain ou animalier, avant de préparer sa nourriture, avant un repas et après être allé aux toilettes ». Dans les lieux publics et clos – transports en commun, magasins, etc. –, retour aux gestes barrières : port du masque chirurgical, gel hydroalcoolique et aération des pièces, surtout en hiver. « Et dès qu'il y a blessure, griffure, coupure ou morsure, on désinfecte la plaie avec un antiseptique. » Autre incontournable : le port du préservatif lors des rapports sexuels (hors couple monogame). Ces recommandations concernent d'ailleurs tout le monde.En revanche, certaines précautions supplémentaires s'adressent aux immunodéprimé·es : porter un masque et se laver les mains pour changer la litière du chat, soigner des animaux, jardiner, bricoler dans les atmosphères empoussiérées, faire des travaux, déménager ou encore couper du bois. De plus, abstenez-vous « de marcher pieds nus en dehors de chez vous. Évitez aussi les environnements poussiéreux ou avec des moisissures. Les traces noires sur les murs et les joints sont en fait des spores de champignons, facilement inhalables », ajoute le Pr Faure, également membre du Centre d'infection et d'immunité de Lille (CIIL).
Pour l'alimentation, les recommandations équivalent à celles destinées aux femmes enceintes : laver les fruits et légumes, même s'ils proviennent du jardin, et limiter les fromages non pasteurisés ainsi que les viandes et poissons crus. « Attention à la friture, elle cuit l'extérieur des aliments et laisse souvent le centre non cuit lorsqu'elle est insuffisante. La cuisson au four est donc à privilégier », précise l'infectiologue. En France, et sauf communication des autorités, boire l'eau du robinet n'est pas un problème car elle est chlorée pour éviter les infections. Enfin côté loisirs, mieux vaut éviter les spas et saunas, car la bactérie responsable de la légionellose aime les eaux tièdes. Pour les voyages, il existe des consultations dédiées.
Enfin concernant la vaccination, les vaccins vivants atténués sont contre-indiqués aux personnes immunodéprimées, et les vaccins inactivés sont moins efficaces. C'est pour cela que le vaccin contre le Covid est recommandé deux fois par an, de même que celui contre la grippe. Les gens vivant avec une personne immunodéprimée ont aussi un rôle à jouer : vaccins, règles d'hygiène à la maison et gestes barrières à l'extérieur, voilà le meilleur moyen de ne pas contaminer votre proche immunodéprimé.
Présenter une immunodépression pose donc de nombreux défis. Cependant, nos trois médecins insistent : en suivant les précautions d'usage, la plupart des patient·es vivent très bien avec.
Un grand merci au docteurs Anne SCEMLA et Christine ROBIN, ainsi qu'au professeur Emmanuel FAURE pour leurs témoignages.
Ce reportage vous a été proposé par la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF).
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