Gazette de l'infectiologie: des bactéries pour guérir

Mercredi 08 Janvier 2025
Des bactéries pour guérir

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Notre perception des bactéries varie : tantôt nos pires ennemies, à éradiquer pour éviter une infection parfois grave ; tantôt nos meilleures alliées, car sans microbiote intestinal ou cutané, point de survie. Entre ces deux extrêmes, il existe une troisième voie peu connue : certaines bactéries se révèlent la clé d'une guérison inespérée. Voici trois exemples.

La transplantation de microbiote fécal contre l'infection par C. difficile

Premier exemple de bactéries amies : celles de notre microbiote intestinal (appelé aussi microbiote fécal). L'infection par Clostridioides difficile, une bactérie qui se développe en général lorsque le microbiote a été perturbé par des antibiotiques, provoque des diarrhées graves et récidivantes. « Après un premier épisode, un patient sur quatre en refera dans les huit semaines. Ensuite, c'est exponentiel : s'il fait un deuxième épisode, on monte à 40-50 % de risque d'en refaire. Chaque épisode peut entraîner dix jours d'hospitalisation. C'est pourquoi, à partir de trois épisodes, on propose la transplantation de microbiote intestinal après un traitement antibiotique », précise la Dre Tatiana Galpérine, infectiologue et responsable du centre de transplantation de microbiote fécal au centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), à Lausanne en Suisse. Après un questionnaire de santé, puis des analyses de sang et de selles, « on sélectionne des adultes jeunes, en bonne santé, qui ont une alimentation normale et qui n'ont pas de facteurs de risque particuliers », décrit l'infectiologue, également vice-présidente du Groupe Français de Transplantation Fécale (GFTF).

Dans les six heures suivant le don, les selles sont filtrées, diluées et traitées pour conserver au mieux ses précieux micro-organismes. Le microbiote est ensuite transféré au receveur sous forme de capsules à avaler ou via une sonde, par voie haute ou basse. Dans les huit semaines, « on arrive à une guérison spectaculaire : entre 83 et 95 % de succès, contre 30 % si on ne traite ces patients qu'avec des antibiotiques », s'enthousiasme la Dre Galpérine. En cas d'échec, il suffit de recommencer pour augmenter les chances de succès. Ces résultats impressionnants n'ouvrent cependant pas encore la voie à d'autres indications thérapeutiques. En effet, les nombreuses recherches sur les liens entre transplantation de microbiote fécal et maladies chroniques, obésité ou troubles neurologiques, n'ont à ce jour pas donné de résultats probants. La TMF n'est donc pas une solution miracle, malgré l'engouement suscité. Autre déconvenue : « aujourd'hui, on ne sait pas caractériser un microbiote « sain ». En effet, le microbiote est un écosystème complexe de bactéries, virus et champignons. Variant d'une personne à l'autre, sa composition « idéale » n'est pas établie. « Ça ne sert donc à rien de faire analyser son microbiote. Ce sera peut-être la médecine de demain, mais pour le moment, tous les tests vendus ne permettent pas d'établir un diagnostic », alerte l'infectiologue.
 

La toxine botulique contre certaines pathologies neurologiques

Autre agent pathogène utilisé pour soigner : la toxine botulique. Produite par une bactérie appelée Clostridium botulinum, elle provoque le botulisme – une maladie rare et parfois mortelle. La toxine agit au niveau des nerfs commandant les muscles en bloquant la libération d'un neurotransmetteur, l'acétylcholine. Résultat : les muscles se relâchent. Célèbre pour son usage en médecine esthétique – le Botox®, c'est elle –, elle soulage aussi certains troubles neurologiques. « On l'utilise dans les dystonies, des pathologies du mouvement où les gens souffrent de contractions musculaires, comme le torticolis spasmodique, le spasme hémifacial ou le blépharospasme, c'est-à-dire des clignements des yeux involontaires et très fréquents », précise la Dre Carole Henry, neurologue et cheffe de service au centre hospitalier de Saint-Denis. Deuxième indication thérapeutique : les raideurs musculaires – ou spasticité – provoquées par un accident vasculaire cérébral, un traumatisme ou une maladie chronique, qui entraînent des déformations handicapantes des membres.

Le traitement est simple, local et momentané. Le médecin fait une injection intramusculaire, au bon endroit et à une dose adaptée – toujours faible, car il s'agit d'un poison. « Cela prend quelques jours avant de commencer à être efficace, et une quinzaine de jours pour que l'effet soit pleinement senti. Ce dernier persiste deux à quatre mois, selon les patients. La fois suivante, le médecin adapte la dose à la réaction du patient », indique la neurologue. La généralisation de cette pratique serait particulièrement utile dans les services de gériatrie ou les EHPAD, comme le souligne la Dre Henry : « cela rendrait bien service aux personnes âgées très recroquevillées sur elles-mêmes, à qui on a du mal à faire la toilette. De la toxine dans les muscles de la main ou des adducteurs permettrait de les détendre et de faire des soins d'hygiène de meilleure qualité et moins douloureux. »
Il existe enfin une troisième indication thérapeutique : « on l'utilise aussi pour éviter le bavage chez les patients avec des maladies qui empêchent de bien avaler la salive, comme la maladie de Parkinson à un stade évolué ou encore la maladie de Charcot », ajoute la Dre Henry. Les injections se font alors dans les glandes salivaires, bloquant la sécrétion de salive.
Malheureusement, ces pratiques restent très peu répandues. 

Le BCG contre les cancers superficiels de la vessie

La vaccination par le BCG – pour bacille de Calmette et Guérin – réduit le risque de tuberculose. Mais saviez-vous que cette bactérie, utilisée en suspension, traite aussi les cancers superficiels de vessie ? « C'est un drôle de traitement, relativement simple. L'infirmière introduit une sonde dans la vessie par l'urètre et fait passer le produit directement dans la vessie. Il y a six instillations initiales, puis un schéma d'entretien pendant plusieurs mois », précise le Dr Matthieu Lafaurie, infectiologue au service des maladies infectieuses de l'hôpital Saint-Louis, à Paris. Le BCG utilisé est issu d'une souche proche de celle du vaccin. La bactérie est vivante, mais atténuée, c'est-à-dire modifiée pour perdre sa capacité infectieuse, tout en induisant une protection immunitaire. « Si on n'est pas tout à fait certain du mécanisme d'action, on booste l'immunité locale avec une production de cellules immunitaires qui vont agir directement sur des petites tumeurs non-invasives », ajoute l'infectiologue.

Cette BCG thérapie est le traitement de référence pour les tumeurs cancéreuses superficielles de la vessie, c'est-à-dire situées sur la muqueuse, sans atteindre le muscle de la paroi vésicale. Elle permet d'éviter la chirurgie, toujours lourde pour cet organe, et la chimiothérapie. Des effets indésirables peuvent néanmoins se produire, comme le précise le Dr Lafaurie : « ils sont liés à la procédure elle-même, qui peut entraîner une fièvre, habituellement brève, associée ou non à des signes d'infection urinaire classique. » Plus problématique, des risques de complications existent si la bactérie dissémine en dehors de la vessie, poursuit le spécialiste : « le bacille peut diffuser dans les organes proches, comme la prostate ou les testicules chez l'homme, les reins ou le rachis. Ce ne sont pas des infections fréquentes, mais ça peut arriver. On peut aussi avoir des complications générales liées  à une diffusion par le sang. » Si le bacille atteint les poumons par exemple, il peut s'y répandre comme une tuberculose miliaire, c'est-à-dire avec une multitude de petites lésions. Le foie peut aussi être touché, avec une hépatite à la clé. Difficile encore à ce jour d'identifier les facteurs de risques de ces complications graves.

Pour des pathologies bien définies, l'utilisation médicale de bactéries ou de leur toxine se révèle donc d'une efficacité certaine. Si elle n'est pas sans risques – comme tous les médicaments, finalement –, elle est la preuve que la médecine n'a pas fini de nous surprendre.


 Un grand merci au docteurs Tatiana GALPÉRINE, Carole HENRY et Matthieu LAFAURIE pour leurs témoignages.


Ce reportage vous a été proposé par la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF).
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