L’accès aux soins des personnes migrantes

L'accès aux soins des personnes migrantes


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Le monde comptait en 2020 quelques 281 millions de personnes vivant en dehors de leur pays de naissance, dont environ 25 millions de réfugiés fuyant la guerre ou la persécution. En France, le manque de moyens, les lourdeurs administratives et certains choix politiques entraînent une prise en charge médicale inadaptée ou trop tardive de ces populations fragiles.
L'accueil des personnes migrantes, comprenant notamment leur prise en charge médicale, constitue une question des plus délicates en France, où le politique prend bien souvent le pas sur la réalité des enjeux sanitaires. Pour Nicolas Vignier, praticien hospitalier à Avicenne (93) et co-responsable d'un groupe de travail de la SPILF sur les personnes migrantes et vulnérables, il faut avant tout savoir de qui on parle. « Si on considère qu'un migrant est une personne née à l'étranger et résidant en France, alors cela représente environ 10 % de la population française, avec un profil de santé très similaire au reste de la population. Par contre, si on parle des migrants primo-arrivants, venus sur le sol français depuis peu de temps dans des conditions souvent difficiles, cela concerne un nombre relativement faible de personnes, mais qui cumulent des facteurs de vulnérabilité et qui sont exposées à des problèmes de santé justifiant un accès aux soins précoce et adapté. »
Parmi ces personnes migrantes primo-arrivantes se trouvent là-aussi des profils très différents notamment selon le pays d'origine – migrants en situation administrative régulière, sans-papiers, demandeurs d'asile, réfugiés… – pour qui l'accès aux soins et à une protection sociale varie énormément. Les personnes arrivées légalement sur le territoire et les demandeurs d'asile ont ainsi droit à la l'Assurance maladie et à la complémentaire santé solidaire (CSS), si leurs revenus ne dépassent pas un certain plafond. Les étrangers en situation irrégulière doivent pour leur part demander une Aide Médicale d'État (AME) pour couvrir leurs soins. « Dans les faits, l'obtention de ces couvertures maladie est souvent très complexe, constate l'infectiologue Olivier Bouchaud, chef de service à l'hôpital Avicenne. Cela fait des années que les professionnels de santé et les associations appellent à un système universel de prise en charge qui simplifierait tout cela. »
Conséquence : selon le dernier rapport de l'ONG Médecins du Monde, plus de 70 % des patients reçus dans leurs centres de soins et pouvant théoriquement bénéficier d'une couverture maladie (AME, Assurance maladie ou CSS) n'avaient aucun droit d'ouvert. Pour les personnes relevant de l'AME, moins d'un patient sur cinq en bénéficiait réellement, tandis que ses seules conditions d'obtention sont de présenter une preuve de séjour de plus de 3 mois en France et de pouvoir prouver son identité. L'ONG révélait également dans un précédent rapport que les migrants mineurs, d'une moyenne d'âge de 11 ans et dont le nombre ne cesse d'augmenter depuis dix ans, n'étaient que 7 % à être couverts, la plupart étant « en situation d'errance et de grande précarité ».
Derrière ce constat, le professeur Olivier Bouchaud pointe plusieurs problèmes. « Il y a avant tout une complexité du système et un défaut d'information chez les migrants comme chez les personnels sociaux-sanitaires, avec une méconnaissance des droits auxquels peuvent prétendre ces personnes. Mais il y a aussi un problème politique, avec en France des enjeux souvent antagonistes : d'une part une pression administrative et policière forte qui peut éloigner les migrants des lieux institutionnels, parfois des lieux de soins, et d'autre part des politiques sanitaires. » L'Observatoire du droit à la santé des étrangers, qui regroupe une trentaine d'associations (comme Médecins Sans Frontières, la Ligue des droits de l'Homme ou encore AIDES), appelle ainsi à ce « que le droit à la santé des personnes étrangères […] relèvent en priorité de la compétence du Ministère de la Santé », et non de celui de l'Intérieur ou de l'Immigration. L'Académie de Médecine rappelait en 2020 que le taux d'attribution d'un titre de séjour pour raison de santé était passé de 75 % à 50 % depuis que la décision dépendait non plus de l'avis des médecins des Agences Régionales de Santé mais de ceux de l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) sous l'égide du ministère de l'Intérieur.
Cette opposition entre enjeux politiques et sanitaires a pris de l'ampleur ces dernières années, avec notamment l'instauration fin 2019 d'un délai de carence pour l'affiliation des demandeurs d'asile à l'assurance maladie. Concrètement, une fois leur demande d'asile déposée, ceux-ci doivent désormais attendre trois mois sur le territoire avant de pouvoir accéder à l'Assurance maladie. Dans le même temps, les conditions d'accès à l'AME, également soumis à un délai de carence de trois mois, ont été durcies. L'objectif derrière ces initiatives avait été clairement exposé quelques mois plus tôt lors d'une interview du Président de la République : lutter contre une supposée « immigration médicale » de personnes venant avec un visa touristique pour profiter du système de santé français.
« C'est une idée que l'on entend fréquemment, or toutes les études scientifiques montrent qu'elle est infondée, ou du moins que le phénomène est tout à fait anecdotique », affirme clairement Olivier Bouchaud. Un constat partagé par l'ensemble des structures et ONG impliquées sur ce sujet, qui dénoncent un « non-sens sanitaire et économique ». Outre l'absence de réalité derrière cette idée reçue, Nicolas Vignier en pointe aussi les conséquences : « C'est clairement un frein à l'accès aux soins pour ces populations fragiles : ça ne fait pas rentrer les gens chez eux et nous, médecins, cela nous empêche de travailler. » L'Académie de Médecine juge pour sa part que « la situation sanitaire des personnes immigrées constitue un enjeu de santé publique insuffisamment pris en compte », ajoutant que « leur accès aux soins, qui reste insuffisant, est retardé de surcroît par[ce] délai de 3 mois. »
Pourtant, ces populations migrantes fraichement arrivées sur le sol français ont de réels besoins de prise en charge médicale. « À leur arrivée, ces personnes ont globalement un état de santé meilleur que la moyenne française, car elles sont plutôt jeunes et en bonne condition physique, explique tout d'abord Olivier Bouchaud. Par contre, leur état se dégrade rapidement par la suite à cause des conditions d'accueil, avec l'apparition de maladies infectieuses et des problèmes de santé liées au mal-logement. » Se mêlent à ces problèmes typiques de la grande précarité certaines infections liées aux régions d'origines des migrants : un quart des hépatites C, trois quarts des hépatites B et près de la moitié des infections au VIH diagnostiquées en France concerneraient ainsi des personnes nées à l'étranger, tandis que l'incidence de la tuberculose maladie se trouve jusqu'à 8 fois plus élevée chez les primo-arrivants. « Il faut tout de même noter que près de la moitié des migrants africains chez qui on a détecté le VIH avaient été infectés non pas dans leur pays d'origine, mais bien en France » précise Olivier Bouchaud. En 2021, un rapport particulièrement fouillé, coordonné par cinq ONG majeures, révélait que près d'un demandeur d'asile sur deux nécessitait « des soins urgents ou assez urgents », mais que le même nombre présentait des retards de recours aux soins, dénonçant « une dégradation croissante de l'accès à la santé des migrant·e·s ».
Enfin, médecins et ONG alertent de concert sur la grande prévalence de troubles psychiques chez ces populations, directement liés à leur parcours et leurs conditions de vie : syndrome de stress post-traumatique, troubles anxieux, dépression… Selon une étude parue en 2017 menée auprès de plus de 15 000 migrants, 62 % avaient subi des violences, 14 % des actes de tortures et 13 % des violences liées au genre ou au sexe. « Ces problèmes psychiques, qui se traduisent bien souvent par des douleurs somatiques, sont globalement mal pris en charge, notamment à cause d'une méconnaissance des soignants et des travailleurs sociaux sur les problématiques spécifiques à ces populations, observe Nicolas Vignier.  Dans ce domaine comme dans d'autres, la barrière de la langue complique encore plus les choses : le recours à un traducteur a un coût, et ce sont encore bien souvent les accompagnants – parfois les enfants – qui assument ce rôle, au détriment du secret médical et de la qualité de la prise en charge ».
Alors, comment améliorer les choses ? Pour le praticien, « il faut surtout arrêter de politiser cette question de l'accès aux soins des migrants à coups de fausses vérités, qui aboutit au final à des mesures délétères pour la santé de ces populations, et enfin donner plus de moyens aux soignants pour faire leur travail », rappelant au passage que cet effort financier n'est pas aussi important qu'on pourrait le croire : le budget de l'AME, qui concerne environ 300 000 personnes en France, représente moins de 0,5 % des objectifs de dépenses de l'assurance maladie. D'autant plus que, selon une étude de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, prendre en charge correctement et précocement les besoins de santé et de prévention des migrants coûterait au final moins cher à la société. Au-delà même de toute considération éthique, la tendance actuelle de durcissement de l'accès aux soins des migrants semble donc être, pragmatiquement, une mauvaise voie.